Qui a tué mon père

CRITIQUE.
[ Scène ]

★★★ ½

Les

paroles qui engagent

les

silences qui blessent

Un élan transgressif.
Crédit : @ Fabrice Gaëtan

 

texte
Élie Castiel 

C’est sans doute un choix émanant autant du comédien que du metteur en scène. Félix-Antoine Boutin livre une performance détachée; corps presque inerte où seule la voix monocorde, à la limite du récitatif, constitue un flot de paroles, de phrases toutes faites, un jet de paroles intimes, personnelles, sur la vie, sur son homosexualité, sur la politique, sur tout et sur rien. Sur son père, qu’il n’a pas vu depuis longtemps, un homme obsédé par une masculinité excessive et qui, aujourd’hui, face à son fils venu lui rappeler des choses, ne dit plus rien. Il a quitté son travail, épuisé, victime d’une société qui broie ses bâtisseurs de l’ombre.

Sur papier, un texte souverain, essentiel, d’une pertinence renouvelée. Sur scène, des moments anxiogènes, voire répétitifs. Peut-on demeurer attentif à ce discours qui respire la confession? Les transitions entre chaque « acte » (si on peut les appeler ainsi), s’effectuent par des fondus au noir et où une musique entraînante nous ramène sur terre.

Deux personnages sur scène, le monologuiste (le fils), et son père, le sujet de cette visite. L’homme, le fils, parle sans cesse, le paternel prépare à manger. Les actes se poursuivent selon la méthode « monologue » pour finalement, arriver à une conclusion étonnante.

N’eût été de la mise en scène de Jérémie Niel, totalement inspirée et transgressive, Qui a tué mon père nous paraîtrait comme un spectacle totalement hors-norme, intentionnellement hostile, sans compromis, divulguant avec transparence, à brûle-pourpoint, le bilan d’une partie de vie.

Justement, la mise en scène renvoit à cet esprit que constitue la conception théâtrale, cette mise en situation qui, par le truchement d’effets, de normes de présentation, de travail sonore, de « brouillards » inventés, de tous ces éléments de production qui s’approprient la scène pour créer un espace dramatique des plus ingénieux, recréent la prise en charge de la représentation.

Et à bien y penser, malgré nos quelques réserves, Félix-Antoine Boutin n’établit-il pas un geste politique, militant, subversif, par ce refus de jeu conventionnel, face à un texte engagé? Même tactique que celle de Martin Faucher, dont les silences ne sont que des confessions intériorisées.

Sans vous donner des détails, l’engrenage, la complicité, le partage des corps dans une des séquences finales, toutes ces composantes sont mises sur pied pour créer une sorte de chorégraphie transgressive qui nous console de l’aspect lourdement récurrent du monologue.

Qui a tué mon père, sans point d’interrogation, sans réponse donc, mais offrant des propositions. Un texte à lire, mais une pièce exigeante à voir pour les esprits les plus aventureux.

Et à bien y penser, malgré nos quelques réserves, Félix-Antoine Boutin n’établit-il pas un geste politique, militant, subversif, par ce refus de jeu conventionnel, face à un texte engagé? Même tactique que celle de Martin Faucher, dont les silences ne sont que des confessions intériorisées.

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
Édouard Louis

Mise en scène
Jérémie Niel

Assistance à la Mise en scène
Ariane Lamarre
Erika Maheu-Chapman

Distribution
Félix-Antoine Boutin

Martin Faucher

Scénographie & Éclairages
Cédric Delorme-Bouchard

Costumes
Léodie Blanchar

Son
Sylvain Bellemare

Durée
1 h 50 min

[ Sans entracte ]

Production
P’TRUS
En collaboration avec Théâtre de Quat’Sous

Public (suggéré)
Déconseillé aux jeunes enfants

Diffusion & Billets
@ Quat’Sous
Jusqu’au 10 décembre 2022

                                            ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

Devotion

P R I M E U R
[ En salle ]
Sortie
Mercredi 23 novembre 2022

SUCCINCTEMENT.
Deux pilotes de chasse de la marine américaine, Tom Hudner et Jesse L. Brown, se battent en héros durant la guerre de Corée

CRITIQUE.

★★ ½

texte
Pascal Grenier

 

Comment vaincre

et

contenir ses peurs

 

Adapté du livre Devotion: An Epic Story of Heroism, Friendship and Sacrifice d’Adam Makos, ce drame de guerre à saveur autobiographique revient sur les exploits de Jess L. Brown (premier aviateur naval afro-américain de la marine des États-Unis) et de son compagnon de l’aviation Tom Hudner durant la guerre de Corée au début des années 1950. S’inspirant des histoires de héros sportifs comme Jackie Robinson (pour le baseball) ou encore de Willie O’Ree  (le hockey sur glace), celle de Jesse L. Brown s’y apparente puisque ce dernier a réussi à briser la barrière raciale dans l’armée américaine. Réalisé de façon adroite, mais impersonnelle par J. D. Dillard (Sweetheart), ce film au budget fort considérable de 90 M$ souffre surtout d’une construction dramatique un peu boiteuse et d’un récit très anecdotique. Après une première partie axée sur l’entraînement et de mises en situation classique, la seconde partie qui se déroule lors du déploiement des troupes américaines en Corée prend une tangente différente.

Briser la barrière raciale.

C’est comme si les scénaristes avaient surtout cherché à faire un pot-pourri de ses exploits au lieu de véritablement construire un véritable enjeu dramatique prenant. Et son histoire tragique prend ainsi une tournure abrupte de telle sorte qu’outre le contexte de la barrière raciale, on se demande la pertinence d’un tel récit et surtout ce qui a bien pu motiver les producteurs à investir dans cette histoire, certes inspirante, mais standardisée. Pour ceux qui espèrent voir un Top Gun: Maverick dans un contexte de guerre historique, détrompez-vous car vous risquez d’être déçu. Le film est un peu chiche en action même s’il y a bien une ou deux séquences impressionnantes dans sa façon originale de l’illustrer à l’écran. C’est dans sa relation d’amitié qu’il développe avec son camarade et pilote d’aviation blanc que le film se concentre et cela fonctionne jusqu’à un certain point. Dans le rôle de Jesse L. Brown, Jonathan Majors offre une performance bien sentie surtout lorsqu’il est confronté à ses propres démons quant à son origine raciale. Quant au rôle de son ami (campé avec conviction par Glen Powell), il manque toutefois de profondeur.

C’est comme si les scénaristes avaient surtout cherché à faire un pot-pourri de ses exploits au lieu de véritablement construire un véritable enjeu dramatique prenant.

De plus, pour les férus d’histoire et d’anachronismes, avant le débarquement en Corée, il y a une séquence se déroulant à Cannes avec Elizabeth Taylor (jouée par l’actrice canadienne Serinda Swan) et les troupes américaines. Non seulement cette séquence digressive n’apporte rien au récit outre peut-être de nous montrer que Jesse se débrouillait dans la langue de Molière. Mais toujours est-il que la première visite d’Elizabeth Taylor au Festival de Cannes remonte à mai 1951 (à l’âge de 19 ans pour le film A Place in the Sun) soit quelques mois après le décès de Jesse Brown.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
J.D. Dillard

Scénario
Jane Crane
Jonathan A.H. Stewart
D’après le livre d’Adam Makos
Devotion: An Epic Story of Heroism,
Friendship and Sacrifice

Direction photo
Erik Messerschmidt

Montage
Billy Fox

Musique
Chanda Daney

Genre(s)
Drame de guerre

Origine(s)
États-Unis

Année : 2022 – Durée : 2 h 19 min

Langue(s)
V.o. : anglais / Version française

Dévotion

Dist. [ Contact ] @
Columbia Pictures

Classement
Visa GÉNÉRAL

Diffusion @
Cineplex

[ Salles VIP : Interdit aux moins de 18 ans ]

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

EO

P R I M E U R
[ En salle ]
Sortie
Vendredi 25 novembre 2022

SUCCINCTEMENT.
Sur son chemin, EO, un âne gris aux yeux mélancoliques, rencontre des gens bien et d’autres mauvais et fait l’expérience de la joie et de la peine, mais jamais, à aucun instant, il ne perd son innocence.

Cassandre et son compagnon de cirque, EO.

L’âne

mélancolique

qui

regardait

les

Hommes

mal

se

comporter

 

 

Le FILM
de la semaine.

CRITIQUE.

★★★★

texte
Élie Castiel
Octogénaire, mais toujours empreint d’une farouche énergie, communicante, Jerzy Skolimowski (est-ce essentiel de rappeler ses films qui ont vraiment compter?) poursuit son parcours cinématographique et cette fois-ci, à 84 ans, jonglant avec le médium, oscillant entre le drame fictionnel et l’expérimental revendicateur.

Angles d’approches propices à sa mise en scène où les silences prennent une allure particulière, les paroles sont isolées, les phrases prononcées courtes, sans trop d’explications. Seules comptent les intentions, celles des individus, essentiellement les hommes, plus que les femmes, parfois vaguant à leurs occupations sans se soucier du reste. Dans d’autres occasions, plus fréquentes, assumant leur agressivité légendaire, leur maltraitance des animaux, leur fanatisme, par exemple, face à match de foot où, par défaut, il faut un perdant et qu’on a recours à l’excès pour calmer ses ardeurs.

D’où la caméra amoureusement aventureuse ou, au contraire, inquiétante et survoltée de Michal Dymek – Supernova, 2019, de Bartosz Kruhlik. Et puis EO, l’âne en question qui, suite à sa libération d’un cirque en raison des revendications et protestations de militants pour la cause animale, se retrouve seul, errant d’un endroit à l’autre d’une Europe en perdition.

L’originalité du film réside dans son regard, à hauteur d’équidé, cherchant constamment à situer le plan dans des réalités parallèles. Les lumières changent constamment, du rouge éclatant (sang) aux bruns sombres d’une terre parfois inhospitalière.

Et si EO était en quelque sorte le bilan d’une œuvre cinématographique conquise par l’étude de l’âme humaine? Nous sommes en mesure de supposer que le cinéaste a encore beaucoup de choses à dire, que son odyssée-cinéma n’a pas encore atteint sa conclusion. Et c’est tant mieux ainsi. EO est un film moderne, prenant des risques énormes avec sa construction intentionnellement biscornue, jouant avec les formes, les cadres, les plans qui passent d’une limpidité étonnante à d’autres du domaine quasi de l’indicible.

Des yeux mélancoliques qui regardent tout droit devant.

Peux-ton expliquer la présence d’Isabelle Huppert dû au fait que le film est un clin d’œil au classique Au hasard Balthazar, de Robert bresson? Toujours est-il que sa présence, comme le reste des individus montrés, est passagère. Hommage à la star du cinéma français? Proposition amicale?

EO, l’âne en question, personnage principal qui conserve tout au long de cet étrange parcours, une neutralité face aux évènements, aux agissement de celles et ceux qui l’entourent. Ses yeux affichent une mélancolie prenante, attachante, déchirante pour l’âme.

EO, pourra-t’il finalement retrouver Cassandre, sa maîtresse, la vedette du cirque qui ne l’a jamais oublié? Le plan final est sec, sans compromis, féroce, brutal. C’est ainsi que sont parfois faits les films qui comptent.

Dans le même temps, c’est aussi le regard du réalisateur, celui qui, à travers ses films, a parcouru l’histoire des sociétés et qui, dans ce film, préfère que les spectateurs tirent leurs propres conclusions.

L’espace vital que suggère Skolimowski est fait d’amoncellements de ferrailles, d’animaux de pâture pas toujours élevés naturellement ou encore des images saisissantes que nous vous laissons le soin de découvrir.

EO, pourra-t’il finalement retrouver Cassandre, sa maîtresse, la vedette du cirque qui ne l’a jamais oublié? Le plan final est sec, sans compromis, féroce, brutal. C’est ainsi que sont parfois faits les films qui comptent.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Jerzy Skolimowski

Scénario
Ewa Piaskowska
Jerzy Skolimowski

Direction photo
Michal Dymek

Montage
Agnieszka Glinska

Musique
Pawel Mykietyn

Jerzy Skolimowski.
Il reste des choses à dire.

Genre(s)
Drame

Origine(s)
Pologne
Italie

Année : 2021 – Durée : 1 h 28 min

Langue(s)
V.o. : multilingue; s.-t.a. ou s.-t.f.
Hi-Han

Dist. [Contact] @
Enchanté Films
[ FilmsWeLike ]

Classement
Interdit aux moins de 13 ans

 

 

Diffusion @
Cinéma du Musée
Cinéma du Parc
[ Cinémathèque québécoise ]

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

1 183 184 185 186 187 349