49e Festival du nouveau cinéma [01]
MANIFESTATION
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Un texte de
Élie Castiel
Pour des raisons d’ordre personnel liées à la manifestation et d’autres hors de mon contrôle, ça faisait des années que je n’avais pas couvert le FNC, m’en tenant aux sorties éventuelles en salle de certains (pour ne pas dire plusieurs) de leurs films. Changement de cap en 2020. Je retourne au bercail en proposant trois textes sur les films que j’aurais choisis dans différentes sections (mais définitivement pas toutes). Une sorte de menu auto-concocté pour satisfaire uniquement ma curiosité. Après un temps d’absence, nous sommes en droit de l’exiger. Première de trois interventions.
Cinq premiers films que les auteurs signent avec la nette conviction qu’il s’agit de projets tout à fait personnels, quitte à ce que même les professionnels (et je souligne bien les professionnels) de la critique (il ne reste pas grand-chose) ne saisissent pas toutes les allusions ou autres symboliques. C’est le cas en particulier d’Abel Ferrara et son curieux et intrigant Siberia. D’une part, le titre lui-même suggère la curiosité, l’envie de voir, car un mot non seulement générique, mais emporté par les élans de l’Histoire et des idéaux socio-politiques. Mais dans le même temps, d’un sans-gêne publicitaire hallucinant.
Le goût aléatoire d’un
certain cinéma d’auteur
Nette déception venant de l’auteur du très beau Ms .45 (1981 – il y a longtemps quand même) et d’autres bravement défendables. Oui, c’est vrai, les relations amoureuses qu’on retrouvait dans le récent Tommaso (voir ici) se retrouvent par le biais de vagues références dans Siberia – sans doute donnant droit à l’une des meilleurs séquences du film ; mais le tout est chaotique, sans cohérence aucune. Louons, non pas uniquement le jeu de Willem Dafoe (c’est tout à fait normal qu’il soit bon), mais ce qu’il représente dans le projet ; c’est-à-dire que l’acteur-culte prend entièrement conscience qu’il devient, le temps de l’avant-tournage, pendant et après, l’alter ego de Ferrara. Qu’il comprend sa démarche, sa vision du monde et de la vie. Son pessimisme lumineux également puisqu’il propose malgré tout une lumière au fond du tunnel. Mais dans cette salade parfois (souvent) indigeste, nous sortons de la projection abattus, désorientés, déconcertés devant une telle avalanche d’auto-effets miroirs intentionnellement narcissiques, reflets d’un cinéma se suffisant à lui-même, mais qu’on respecte pour sa pugnacité. Un combat probablement mêlé à un vécu bouleversant fait de tensions, de problèmes personnels et plus que tout de rapports conflictuels au monde.
Cet appel du différent, ou pour mieux dire, de la narration volontairement en constant déséquilibre, de ces séquences qui se suivent et qui n’ont pas nécessairement un lien ou des liens entre elles se retrouvent dans Atlantis / Atlantyda de l’Ukrainien Valentyn Vasyanovich. Dans son quatrième long métrage de fiction, le cinéaste se sert sans aucun doute de l’Histoire de son pays pour évoquer la misère humaine, les liens d’amitié (bien que très contenus) qui peuvent se créer en temps de crises, de la solidarité et un moment pour l’amour, pour l’appel de la chair (très belle séquence entre elle et lui, alors que les corps oublient, pendant quelques intenses moments, à l’intérieur d’un no man’s land, les affres du conflit). Le regard du 7e art de Vasyanovich fait ultimement partie de ces cinéastes de l’Est qui ont décidé de ne pas se conformer aux nouveaux codes de la narration, nourris des leçons de vieux maîtres comme Andrei Tarkovski ou encore Andrzej Wajda, de ces narrateurs d’un cinéma de la modernité, dont Theo Angelopoulos, le Grec, demeure aussi un exemple édifiant. Le plan, le cadre, le cinémascope, dans toute sa majestuosité, demeurent au service du cinéma, et seulement du cinéma, c’est-à-dire dans toute sa complexité esthétique. Pour le reste, le récit, comme on dit souvent, ça n’a pas trop d’importance.
Même son de cloche pour le Brésilien Felipe Bragança, quasi la quarantaine, d’une génération cinéphilique formée non seulement dans les écoles de cinéma, mais aussi (dans les festivals, de plus en plus nombreux. Et plus que tout, par une mondialisation culturelle qui, force est de souligner, a réuni de nouveaux réalisateurs de mêmes générations et aux mêmes idées du monde et du cinéma dans une sorte de groupuscule intellectuel où l’improvisation, si non fondé formellement – i.e. esthétiquement – est totalement interdite. Impossible de ne pas voir l’influence d’un Apichatpong Weerasethakul dans A Yellow Animal / Um Animal Amarelo ; par ces nombreuses apparitions de l’animal jaune (entre le gorille géant et la divinité vaudou), mais que Bragança présente avec cet humour légendaire propre au cinéma brésilien. Fantaisie qui se manifeste chez le personage principal, Fernando, le metteur en scène qui peine à tourner son film dans un pays où règne autant la corruption que la crise économique – nous le saurons essentiellement par les recours aux Nouvelles radiophoniques – dans la plupart des films latino-américains cette particularité médiatique se fait par le biais des unes des journaux ou par les ondes-radio – rarement à la télé. Le Brésilien a un sacré sens de l’ironie et du sarcasme enjoué même dans la pire des circonstances, et Bragança suit cet engouement avec une déréliction assumée sans pareille. Dommage que narrativement, le film change constamment de cap, justifiant ainsi ses divers chapitres, comme si, pour le cinéaste, la continuité narrative était un vilain défaut. Et puis des protagonistes parfois improbables (dont le grand-père homosexuel et son – très jeune – amant) constituant des pièces de conviction dans cette recherche identitaire d’un anti-héros hors de l’ordinaire. Encore une fois, comme dans tout cinéma d’auteur, le spectateur est sommé de saisir (ou pas) l’univers intérieur de l’artiste.
Autre film. La politique rejoint l’ordre religieux d’un petit groupe de séminaristes dans la Tchécoslovaquie totalitaire d’une autre époque. Entre le discours intérieur, parfois discrètement délinquant, et celui extérieur des autorités qui ne reculent devant rien pour interdite tout acte politique dans l’espace confessionnel, une guerre filmée en noir et blanc qui évoque le cinéma des Ján Kādar, Vēra Chytilová ou autres Milŏs Forman des premiers temps, rendant Servants / Služobníci en film-hommage. De courte durée, bien moins de 90 minutes, le deuxième long métrage de Ivan Ostrochovský, après Goat / Koza (2015) repose essentiellement sur la notion de complot, de rappels à l’ordre, d’où l’importance de la narration, que vient nourrir une mise en images où les ombres, les éclairages indécis et les quelques plans rapprochés des personnages principaux reflètent toute l’ambivalence des situations et d’une époque étatique qu’on devine dans notre imaginaire. Et plus explicitement, dans les quelques plans fixe du docteur Ivan (excellent jeu de l’acteur roumain Vlad Ivanov – vu il y a peu de temps dans La Gomera, de Corneliu Porumboiu)) qui, torse nu, face au miroir qu’on devine, contemple avec stupeur et non sans douleur interne, les malformations de sa peau. Et dans l’ensemble, quelque chose d’implicite, de caché, de sensuellement bouleversant qu’on a du mal à comprendre. Et tant mieux, puisque l’idée du cinéaste est de faire travailler notre imaginaire.
Chose que Bruce La Bruce a du mal à faire dans son tout dernier opus, Saint-Narcisse, en référence à une localité du Québec où a lieu le parcours identitaire d’un jeune homme, confronté avec la découverte biologique de sa mère et un secret enfoui dans une institution de jeunes séminaristes mené par le Père Andrew (Andreas Apergis, magnifique dans son combat entre l’hédonisme homosexuel et la foi). Pour le reste, un film surprenant par l’audace de risquer un thème casse-gueule, le mélodrame n’étant pas le fort du réalisateur du controversé Gerontophilia (2013). Co-signé avec Martin Girard – Angle mort de Dominic James (2011), le scénario pèse lourdement sur les épaules autant du cinéaste que sur celles des spectateurs, la narration oscillant entre le drame familial, la « fausse » sorcellerie qu’on nous annonce et ne nous ne voyons jamais venir et la forme bancale de l’ensemble. Seules les séquences avec les séminaristes nous paraissent sorties d’un film du Canadien John Greyson (Lilies / Les feluettes – 1996), un homme de cinéma intègre, fidèle à ses idéologies, voyant dans son métier une sorte d’effet-miroir de la sexualité comme forme de la représentation. Manifeste dans ses atmosphères aussi que de reproduire dans (et réussit admirablement) la caméra de notre Michel La Veaux national dans Saint-Narcisse ; certains plans intérieurs, particulièrement dans le couvent, impressionnent par leur côté volontaire surréalistes, brefs, mais inoubliables. L’aspect chromatique étant aussi pour quelque chose d’estimable.
Suite des films au prochain article…