49e Festival du nouveau cinéma [02]
MANIFESTATION
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Un texte de
Élie Castiel
Des films qui partagent un dénominateur commun impératif : la perspicacité du plan, sa résonnance, sa continuité ou au contraire, son bris, intentionnel, pour justifier une raison autre. Cinq films, menu de notre deuxième intervention-FNC. Des propositions généreuses mettant l’emphase sur l’esthétisme du cadre, son contenu et sa profonde signification. Synthèse.
Le « plan » comme motif identitaire
Le premier long métrage du Grec Christos Nikou, après son court sujet Km (2012) est un avant tout un essai sur la notion de faire un film. Métaphore contemporaine montrant plutôt que racontant le récit de quelques Athéniens atteints d’une sorte d’amnésie venus d’on ne sait où, un virus qu’on n’arrive pas à identifier. Mais des autorités sanitaires ont trouvé le moyen de les ramener à une certaine normalité. En particulier dans le cas de Aris – rôle tenu avec une assiduité exemplaire par Aris Servetalis, vu, entre autres, dans Alpes / Alpeis de Yorgos Lanthimos. Le plan prend ici une signification particulière dans la mesure où il interroge autant les situations que le personnage lui-même. Entre récit et attention à l’ esthétique du cadre, nous restons attentifs au travail du directeur photo Bartosz Swiniarski (plusieurs courts et productions télé), manipulant l’objectif avec une grâce et un souci du détail étonnants. Justement, l’œil de la caméra est implacable et par moments inquiétant. Un côté clinique, froid, distant dans les prises de vue de la capitale, une ville d’Athènes quasi fantomatique où les habitants passent (marchent, circulent) automatiquement et la circulation des moyens de transport se fait rare. Idem pour les intérieurs, des espèces de huis-clos nihilistes où ne se retrouve que cet anti-héros pourtant sublimisé ou peu de personnages. Par le truchement formel de ce minimalisme autant par sa durée que par les limites de la représentation, ce premier film, d’une rare beauté plastique, réunit tout ce que le cinéma grec de la post-modernité peut offrir.
Au décès de Theo Angelopoulos, apôtre incontestable de la modernité, les « nouveaux Grecs » ont décidé de construire une autre réalité cinématographique en fonction de l’état de leur pays – crise économique interminable – corruption politique – défaillances sociales. Tant et si bien que devant ces impasses considérables, le cinéma n’avait d’autre choix que de se réinventer.
Un film comme Apples / Pommes / Mila est la certitude que le cinéma grec est avant tout un rendez-vous formel avec le 7e art. En quelque sorte, une revendication de la part des cinéastes. Rendez-vous d’ordre politique et/ou social par le biais de images en mouvement. Sans vouloir insister sur Angelopoulos. lui l’avait fait à sa façon. Et de lui, les nouveaux cinéastes ont récupéré la notion du contemplatif, que Nikou utilise en se servant d’une brillante palette : goût du risque, envie effrénée de tourner. Et un dernier plan qui restera longtemps dans notre mémoire.
Le plan est aussi ce qui préoccupe au plus haut point l’Allemande Leonie Krippendorff dans Cocoon / Kokon, un deuxième long après l’inédit Loop (2016). Récit linéaire, situations dramatiques montrées selon les codes d’un cinéma traditionnel, quoique manipulé de façon admirable, souci dans la direction d’acteurs et surtout d’actrices.
Et bien entendu, un portrait de l’immigration non dépourvu de sympathie – dans une séquence qui paraît anodine, la mère de Nora (extraordinaire Lena Urgendowsky – qui ressemble à s’y méprendre à la regrettée Harriet Andersson bergmanienne) se demande pourquoi ses filles « jurent par le Coran ». Et elles répondent quelque chose comme « c’est comme ça aujourd’hui ». Déclaration politique sans doute de la part d’une cinéaste trentenaire tout à fait consciente de sa génération et des changements encourus dans son pays.
Mais Cocoon est aussi un plan large sur l’adolescence, le parcours à la fois intrigant, inquiétant et savoureux vers la maturité et un portrait sur l’homosexualité précoce, ici, féminine, qui se manifeste dans un des derniers plan montrant une Nora épanouie, assumant sa sexualité, libre, se juxtaposant au cadre avec une complicité époustouflante.
Encore une fois, à l’instar de notre article précédent, le Brésil. Cette fois-ci un film signé Maria Clara Escobar, un premier long métrage de fiction. Le professionnalisme des nouveaux faiseurs d’images n’a plus rien à envier avec les cinéastes qui les ont précédés au cours des quelques dernières décennies. Bien que le récit en souffre parfois, comme c’est le cas ici, la proposition tournant souvent autour de l’image comme seul centre d’attraction. Il y a une longueur souvent éprouvante dans Desterro (qui veut dire Exil en français). Assez pour suivre tous ces images fixes parfois dominées par des plans-séquences de durées variables, un rythme monotone voulu dans les réparties, sauf dans la dernière partie du film où la réalisatrice, consciente sans doute d’avoir été trop loin, appuie son regard sur une série de témoignages au féminin aussi dramatiques que bouleversants. Et le plan final, en durée-séquence, tout de même assez long, brille surtout par sa symbolique où nature, feu, ciel, mort, vie, et mouvement perpétuel s’annoncent comme une brillante métaphore du cinéma. Par son côté clinique, souvent désincarné, on pense parfois à Bresson, à Cavalier ou autres de Oliveira ou encore Nuri Bilge Ceylan. Références cinéphiliques que, clairvoyante, lucide, Escobar se fait un plaisir d’y avoir recours.
Plus terre-à-terre, La hija de un ladrón / Fille de voleur suit une trame narrative sans doute classique, mais menée à la façon dardennienne, c’est-à-dire rapidité des plans, de très courtes durées dans la majeure partie du film, souci impératif du social, recours à de personnages issus des classes ouvrières qui s’en sortent plus ou moins. Et un regard sur la crise économique en Espagne, à la suite des retentissements de l’après 2008. Belén Funes, réalisatrice catalane, mi-trentaine, utilisant le cinéma comme moyen politico-social apte à contester les écarts sociaux, les défis de la monoparentalité, les conflits familiaux (ici, entre une fille et son père – tous les deux magnifiques – lui, Eduard Fernandez; elle, Greta Fernandez, sa propre fille dans la vraie vie). Incroyable tour de force de la part des deux comédiens qui se livrent aux nombreux plans captés par la caméra de la directrice photo Neus Ollé, elle aussi catalane, comme les Fernandez. Images de femmes pour un film aussi sensibles que fougueux, aussi essentiel que resplendissant. Et la fin, ouverte à toutes les interprétations, reflètent adroitement les nouveaux enjeux scénaristiques d’aujourd’hui, du moins en ce qui a trait à ceux et celles qui utilisent le cinéma comme une arme de revendication.
Un caprice que Mamá, mamá, mamá / Maman, maman, maman (Argentine) de la réalisatrice Sol Berruezo Pichon-Rivière. Un récit élégiaque sur l’enfance, l’adolescence et le temps du mûrir au féminin, avec toutes les interrogations que cela suppose, ses surprises, les regards complices, les fougues transitoires. Et un plan où deux travailleurs dans le jardin familial regardent les deux plus âgées (à peine) avec un intérêt quasi-coupable – parfaitement filmé par Rebeca Siqueira, sensible, affectueuse, poétiquement conquise. Un long métrage de très courte durée (1 h 05 min) qui ne tient qu’à l’essentiel, refusant incontestablement le futile et le superficiel.
Suite et fin au prochain article.