49e Festival du nouveau cinéma [03]
MANIFESTATION
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un texte de
Élie Castiel
Fin de parcours
Pas de thématique particulièrement, mais cinq films pris au hasard de la programmation, avec certes selon nos champs d’intérêt. À l’an prochain, nous espérons, en salle, sans ce syndrome diabolique qui nous tiens tous en haleine.
Après son lumineux Les sept dernières paroles / The Seven Last Words, le Canado-Iranien Kaveh Nabatian se paie un séjour entre la Havane et Montréal. Première partie, tropicale, jouant autour les coutumes (et une histoire d’amour et d’opportunisme) d’un peuple qui « se sent » libre, mais rêve de l’étranger et des étrangers – ici, plutôt les étrangères – pour réaliser sa quête de réussite.
Une fiction pour Nabatian, jusqu’ici plus impressionné par les essais philosophiques un brin intellectuel et qui se retrouve dans Sin la Habana en territoire linéaire. Un danseur qui se croit racisé dans l’école professionnelle de danse cubaine. Et il n’a sans doute pas tort. Il tentera sa chance à Montréal en faisant croire à une Irano-Québécoise de confession juive (la séquence, très touchante, de la circoncision du fils de sa soeur nous le confirme) touriste à Cuba, qu’il est amoureux d’elle. Voici pour la petite histoire. Et puis, un film en deux parties qui montre ses qualités premières (et ses petits défauts) à mesure que le récit progresse. Beau portrait des Juifs iraniens établis ici, sans doute personnifiés par des acteurs également Juifs, mais qu’importe, une autre séquence montre jusqu’à quel point le racisme circule partout, dans toutes les couches de la société et même chez ceux qui se croient racisés. Mais c’est là une autre histoire qui nécessite un débat.
Mise en scène classique, ne se privant pas d’une certaine attirance pour un érotisme de bon goût et dans un sens, montrant qu’avant tout, Nabatian a voulu se faire plaisir en abordant un autre genre de cinéma, question de savoir s’il en est capable. Pari réussi, car au-delà du rêve de ce héros particulier, on découvre deux sociétés distinctes, l’une du Nord, l’autre du Sud, qui dans leurs différences, peuvent sembler identiques. Lors de sa sortie en salle ou en numérique, nous y reviendrons. Nabatian est un cinéaste québécois à suivre.
Prochaine étape : l’Inde propose le contemplatif The Shepherdess and the Seven Songs / Laila Aur Satt Geet de Pushpendra Singh, quelques années après Lajwanti / The Honour Keeper (2014), autre film sur l’attirance amoureuse parsemé de féminisme retenu. L’attrait principal du film est la présence de Navjot Randhawa, la Laila dont il est question, la plus belle femme de ce village perdu dans les hauteurs du Cachemire montagneux, et qui malgré tout nous est présentée comme une femme libérée, usant de toutes les astuces pour dompter les hormones masculine en constante gestation. Et au-delà de cette proposition narrative un tant soit peu savoureuse, une mise en scène sobre, voire même minimaliste qui filme l’espace avec une dextérité et un sens du contemplatif d’une qualité picturale extraordinaire. Pour certains, un film parfois fastidieux, et qui ne peut susciter notre adhésion qu’à une seule condition : ne pas se laisser décourager par la sagesse de la lenteur.
Un autre film en provenance de l’Inde, The Tremor / Naţukkam, premier essai de long métrage de Balaji Vembu Chelli, un pari risqué tant par sa durée (environ 1 h 10 min), quelque chose de totalement hérétique en Inde, mais plus que tout par ses propositions narrative et esthétique. Le film n’est pas un récit, mais un parcours sur la découverte de notions existentielles : le vrai, le faux, l’inventé, le superficiel, l’ignorance. Et la caméra pilote tout cela dans un (presque) continuel cheminement en avant enveloppé d’une musique mystérieuse. Nous sommes désorientés et c’est ainsi que le veut le réalisateur, ne jurant ici que par le cinéma comme art de la représentation, non pas celle du quotidien, mais plus que tout, de l’énergie que l’acte du tournage peut susciter dans notre esprit ainsi que notre regard.
Longtemps habitué aux belles années du Festival des films du monde, disparu dans des circonstances dramatiques, pour certains, bien orchestrées, l’Allemand Christian Petzold, à 60 ans, a senti le besoin de parler de l’amour, comme au bon vieux temps, comme dans ces films où l’homme et la femme se croisent, vivent une intense histoire d’amour. Dans Ondine / Udine, l’amant est lassé puisqu’il a rencontré une autre femme. La première finira par l’oublier et va rencontrer un autre, beaucoup trop fidèle. Mais… Le mythe de la sirène, de la femme-eau, de celle qui disparaît sans laisser de traces, mais qui imbibe ses amants d’une sorte de potion magique, entre les plaisirs de la chair, l’amour inconditionnel et ce rapport fragile entre la vie et la mort. La mise en scène de Petzold n’est pas toujours rassurante, se perdant parfois dans des situations plutôt caricaturales (incident dans le restaurant), mais non dépourvues de sens une fois qu’on aura tout compris. Encore une fois, arrivé à une décennie où on remet en question ses expériences du passé pour tenter de vivre ce qui reste de temps, le cinéaste a sans doute voulu nous faire partager ses angoisses, ses délires qu’il peut sans doute encore se permettre et cette idée libératrice de contourner inutilement la mort. Libre à nous de nous y intéresser.
Et finalement, le film iranien, une présence requise dans tout festival qui se respecte. L’incomparable Mohammad Rasoulof revient, peut-être pas en très grande force, mais aussi entêté que jamais par sa dénonciation indirecte d’un régime qui annihile. Dans There Is No Evil / Sheytan Vojud Nadarad, il s’agit d’un film en quatre parties, des récits sur la solitude, la famille, le renoncement, le rapprochement physique, la volonté innée de survivre corps et surtout âme dans un pays qui ne le permet pas totalement. La liberté est absente dans cette curieuse initiative dont les deux premières parties sont un coup de poing aux spectateurs, sombres, efficacement menées par une caméra aussi indiscrète que curieuse et un sens du rythme qui ne dément jamais. La grande ville, la prison, la campagne, autant de lieux filmés qui correspondent à l’agitation ou la passivité des gens, malgré eux, prisonniers d’un système ingrat qui ne cesse de se régénérer.
À l’an prochain… si tout va bien.