L’exhibition

CRITIQUE – SCÈNE

| Élie Castiel – ★★★★ |
L’ (IN)SOUTENABLE HOSTILITÉ DU NÉANT

Trois amis, créateurs, comédiens… et les spectateurs, sommés, pendant les quelques premières minutes, de s’asseoir par terre, le dos aux (trois) murs de la scène, laissant celui entre la salle et le terrain de jeu attendre les instructions. Une voix-off féminine qui philosophe sur le théâtre, la notion de représentation, l’art, la vie, la participation du spectateur qui se demande s’il va résister encore longtemps à l’inconfort physique qu’il vit. Et prise d’un élan de pitié, la voix (toujours féminine) lui permet d’aller rejoindre son siège. Victoire, puis cette fois-ci, notre concentration est pleine, assumée.

L’exhibition

Crédit photo: ©David Ospina

Le spectacle commence, du moins, c’est à quatre (peut-être trois ou plus) que cette phrase est prononcée. Parce que justement, il ne commence jamais. Ce qu’on voit sur scène, ce sont trois grands comédiens qui s’autorisent la biographie de leur rencontre, sont devenus complices dans l’art de la création et inventent un espace scénique à La Chapelle, lieu de tous les (im)possibles.

La voie parle d’engagement, d’amitié, d’un art, le théâtre qui ne fait que mentir, d’une discipline ou d’un moyen de communication qui peut en revanche rassembler ou diviser. Mais il y a aussi Emmanuel Schwartz, Francis La Haye et Benoît Gob qui se racontent, nous racontent aussi en filigrane, en phrases sous-entendus, en face-à-face jetés au spectateurs comme pour autant les séduire que les provoquer.

Bouleversant! Parce que le vécu de ces héros de la scène n’est pas aussi héroïque que l’on croit, parce qu’ils sont nos semblables… et ont les mêmes besoins que nous. Cette démystification de l’art dramaturgique n’opère néanmoins qu’à moitié. Parce que soudain, la mise en scène s’interpose entre la vie réelle et l’imaginée, entre la fiction du quotidien et le spectacle conçu. On cite des auteurs, ce qui est bien, et du coup, la pensée philosophique accessible revendique son territoire.

Selon le poids de nos sentiments et de nos émotions, nous sortons chargés de doutes, ou au contraire, bouleversés d’apprendre que la négation de toutes ces valeurs et réalités apprises au cours des siècles peuvent être surmontées afin d’atteindre un monde plus équilibré. Un des plus beaux moments de la saison théâtrale.

La bande sonore est rock car elle comprend sûrement le goût de la plupart des spectateurs, non pas pour les manipuler, mais pour les rejoindre. Et puis, plus tard, un air dramatique d’une poids émotif hallucinant. Un arsenal visuel s’étale devant nous. Ébahis devant tant d’ostentation intentionnelle pour nous guider hors de la réalité. La dichotomie de la perception est parfaite, intégrale, irréprochable.

C’est ça L’exhibition, un étalage ostentatoire d’idées « arrangées avec le gars de la scène », et tant mieux; et plus que tout, son côté spectacle, show, abrupte, agressif. Et que c’est beau de voir Schwartz citer (en jouant de son mieux) les classiques du théâtre, justement pour rappeler qu’il excelle dans la matière. Et les deux autres, des sous-fifres, non pas dans le sens de faire-valoir, mais dans celui de la complicité.

On parle un tout petit peu du rapport de nos vies à l’Église, la Mosquée… et chose rarissime dans le théâtre laïc québécois francophone, de Synagogue. Le trio monothéiste joint ses forces pour défier la foi au nom du nihilisme, du néant, du rien. Et le spectacle quasi participatif se termine en grand point d’interrogation. Selon le poids de nos sentiments et de nos émotions, nous sortons chargés de doutes, ou au contraire, bouleversés d’apprendre que la négation de toutes ces valeurs et réalités apprises au cours des siècles peuvent être surmontées afin d’atteindre un monde plus équilibré. Un des plus beaux moments de la saison théâtrale.

FICHE TECHNIQUE

Auteur: Emmanuel Schwartz
Visuel: Benoît Gob
Son: Francis La Haye
Dramaturgie: Alice Ronfard
Comédiens: Emmanuel Schwartz, Francis La Haye, Benoît Gob
Collaboration artistique: Christel Olislagers
Conception LX: Julie Basse, Martin Sirois
Directeur technique: Martin Sirois
Surtitres: Élaine Normandeau
Production: Festival TransAmériques, Théâtre de l’Ancre de Charleroi, LA CHAPELLE scènes contemporaines
Durée: 1 h 15, [ Sans entracte ]
Représentations: Jusqu’au 9 mars 2019, LA CHAPELLE scènes contemporaines