Bertrand Tavernier [ 02 ]
HOMMAGE
[ Salut l’artiste ]
texte
Luc Chaput
Une œuvre foisonnante
Dans une petite ville de l’Empire colonial français en Afrique a lieu le soir une projection extérieure d’un film à laquelle assiste une bonne partie de la population dont le statut est révélé par leur habillement et leur place dans cet événement. Nous sommes en 1938 et dans le film Coup de torchon de ce cinéaste. Le choix du film Alerte en Méditerranée de Léo Joannon et de la publicité de meubles le précédant, très étonnante par son style, implique le spectateur dans un univers dans lequel d’autres pistes s’ouvrent subrepticement selon son bon vouloir.
Tavernier y adapte, avec Jean Aurenche, un roman noir Pop. 1280 de Jim Thompson, se passant dans le sud des États-Unis, lieu qu’il arpentera plus tard avec son ami le réalisateur américain Robert Parrish dans le documentaire Mississippi Blues associé à une de ses passions de mélomane. Cette transposition lumineuse et acérée dans le colonialisme est aussi un hommage indirect aux écrits de Simenon sur ces lieux qui constituent un autre pan de l’œuvre plus méconnue de l’auteur de l’Horloger d’Everton, source de son premier long métrage L’Horloger de Saint-Paul dans lequel Lyon prend une si grande place
Fils de René Tavernier, ami d’Aragon et d’Éluard, écrivain et résistant dans ce haut lieu de la lutte contre l’occupant, Bertrand met en scène d’autres moments de cette Seconde Guerre mondiale dans Laissez-passer où, à la Continental-Films, dirigée par Alfred Greven, ami de Goering et producteur, entre autres, de La Symphonie fantastique de Christian-Jaque, des techniciens, acteurs, scénaristes et réalisateurs ont une double vie d’artisans et d’artistes le jour et de collaborateurs ou de résistants à d’autres moments. Cette cinéphilie, commencée jeune et continuée à Paris avec son ami de lycée Volker Schlöndorff qui l’amena vers des cinématographies diverses, le conduisit naturellement par sa boulimie artistique vers ce tardif et double Voyage à travers le cinéma français mais aussi à sa chronique très fournie de découvertes DVD sur le site de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) dont il était par ailleurs un membre moteur de certains comités de défense du cinéma.
Pour cette filmographie si riche en découvertes multiples dans laquelle son double, l’acteur Philippe Noiret prend une si grande place et pour son indignation devant les injustices, que ce cinéaste et auteur soit remercié encore et pour longtemps.
Cette cinéphilie militante s’est aussi révélée dans la publication de 50 ans de cinéma américain avec son ami Jean-Pierre Coursodon. Cette avidité de découvertes l’a poussé à s’intéresser à diverses époques pour les déchiffrer et en transformer les fruits de ces recherches historiques précises en des films majeurs souvent sur la relation entre justice et pouvoir ou sur l’être et le paraître dans ces circonstances où une époque bascule. Pour cette filmographie si riche en découvertes multiples dans laquelle son double, l’acteur Philippe Noiret prend une si grande place et pour son indignation devant les injustices, que ce cinéaste et auteur soit remercié encore et pour longtemps.