Autour du TIFF 2021.
Première partie

ÉVÈNEMENT
Toronto International
Film Festival ]

texte
Pierre Pageau

   Parmi les nombreux films présents au TIFF 2021, j’en retiens deux, que l’on peut qualifier de « féministes ».  Ils ont comme point commun de se référer à un élément du passé pour mieux décrire les luttes des femmes d’aujourd’hui : Le bal des folles (Mélanie Laurent, France) et As In Heaven (Tea Lindeburg, Danemark). Le constat et le postulat des deux films tient de l’idée que le passé peut malheureusement encore se répéter. En particulier en ce qui concerne l’existence de forces qui veulent limiter la volonté d’émancipation de la Femme. Ce modus operandi narratif n’est pas totalement nouveau, mais il prend plus d’ampleur de nos jours. Et 2021 aura été une grande année pour rendre hommage à ce cinéma émancipateur avec deux films qui se méritent des grands prix dans divers festivals.  C’est le cas pour Titane de Julian Ducournau, Palme d’or à Cannes. Alors qu’à Venise le Lion d’or est décerné à Audrey Diwan, une autre Française, pour  L’événement.

Un cinéma au féminisme contemporain

L’événement

Ces deux films témoignent de la détermination à rendre concret, efficacement, l’agir des femmes dans la mutation des mentalités. Elles vont mettre en scène des cauchemars qui témoignent bien de leurs luttes, de leur quête de liberté. On sait qu’il y a eu une sorte de mode du féminisme, en particulier dans le domaine littéraire. En effet, des œuvres écrites par des femmes se vendent très bien. Ce succès commercial peut aussi cacher une récupération. Il est pourtant certain qu’il y a un bassin important de lectrices, ce qui peut aider à comprendre ce phénomène. Mon travail de programmateur d’une petite salle de cinéma, qui défendait le cinéma de répertoire, m’a appris que nous devions compter sur ces femmes pour défendre et célébrer le cinéma (féminin en particulier) de qualité. Bref, tout ce grand contexte nous donne aujourd’hui, via le TIFF, deux films de qualité qui ajoute aux points de vue des femmes sur le grand écran.

Le Bal des folles, de Mélanie Laurent (d’abord bien connue comme actrice, même si ce film est son cinquième) est adapté d’un roman éponyme de Victoria Mas (Albin Michel, 2019). Il illustre le sort impitoyable réservé aux femmes trop originales, que l’on cherche à éliminer, à enfermer. Il s’agit toujours à chaque fois de femmes soumises à une autorité masculine, souvent manichéenne; encore plus dans le roman que le film. Dans Le bal des folles, notre personnage principal, Eugénie, est née dans une famille bourgeoise.  Cette famille décide alors de l’éloigner en l’enfermant dans l’hôpital psychiatrique de Charcot, sous prétexte qu’elle a des visions.  Là, se côtoient de vraies patientes atteintes de diverses maladies mentales et d’autres, comme notre Eugénie, que la société a voulu contrôler. Il y avait un peu de cela dans Vol au-dessus d’un nid de coucou / One Flew Over the Cuckoo’s Nest (Milos Forman, 1976) : on avait enfermé McMurphy (Jack Nicholson) parce qu’il représentait un délinquant impossible à dompter; on lui réserve l’hôpital psychiatrique, même si lui n’est pas fou (coucou). Au féminin, le cas d’Eugénie peut nous rappeler celui de Camille Claudel (Bruno Nuytten, 1998), ou celui d’Alys Robi au Québec, Ma vie en cinémascope (Denise Filiatrault, 2004). Il s’agit de deux artistes qui veulent défoncer le « plafond de verre » et qui vont en payer le prix en étant internées. La société de l’époque (?) ne peut tolérer des femmes qui s’émancipent trop du pouvoir masculin, du pouvoir patriarcal; celles-ci veulent exprimer leur esprit créatif. Il ne faut pas se surprendre alors que le portrait des hommes soit un peu manichéen; ils sont même antipathiques. Même ceux amoureux ne savent pas bien comprendre les femmes.

Le bal des folles

As In Heaven de Tea Lindeburg (Danemark) est un premier long métrage; une réussite. Une adaptation, d’un roman de 1912, A Night of Death / En dødsnat, qui se déroule à la fin du 19e siècle (vers 1880). Le personnage central, la jeune femme Lise, se propose de quitter sa famille pour aller étudier. Son père, au nom de principes archaïques, s’oppose à ce souhait. Non seulement le père est-il une figure dominante, écrasante, mais la religion joue aussi un rôle. La religion sert, plus souvent qu’autrement, le pouvoir masculin. Lindeburg oppose donc religion et science, en particulier en ce qui concerne les règles des accouchements. L’ignorance, voire la superstition, fait toujours l’affaire des hommes. Et les femmes en paient le prix. Curieusement, on pourrait ici risquer un parallèle avec un autre film danois, de 1922 (presque synchrone avec le livre) : Haxan  / La sorcellerie à travers les âges (de Benjamin Christensen). La plus grande partie de ce film est consacrée aux méfaits de l’ignorance au Moyen-Âge qui mènent à diverses formes d’inquisitions et de tortures contre les femmes, toutes qualifiées de sorcières. La dernière partie du film est consacrée à la période contemporaine et se termine par un parallèle saisissant entre la chasse aux sorcières de jadis et le traitement contemporain stigmatisant des femmes diagnostiquées d’hystérie depuis, par exemple, les recherches de Charcot. Un intertitre dit : « De nos jours nous les enfermons dans des asiles ». En termes strict de contenu, le point de vue de Lindeburg est limpide. Mais, ce qui retient surtout notre attention c’est l’importance du travail, très esthétique, de la caméra.  À certains moments il y a des ressemblances avec Une vie cachée / A Hidden Life, de Terence Malick, ce qui n’est pas peu dire.  À l’instar de ce film, les desseins de Dieu sont questionnés et bien illustrés, et nous mettent face à nos croyances, face au Mal.  Le caméraman est Marcel Zyskind fait des images bucoliques, souvent avec le grand-angle et une caméra flottante.

As in Heaven

La réalisatrice sait utiliser la lenteur et durée des plans pour mieux ressentir ce que vit la femme; un peu comme des photographies de l’époque, d’un temps, en principe, passé. Pour Lindeburg, très clairement, ce passé est toujours possible dans notre présent. Ici le mini drame personnel de Lise, est le reflet de situations historiques globales.  Pour cette réalisatrice, en 2021, nous ne devrions plus trouver des excuses dans des croyances dépassées, celles souvent émises sans contrôle dans les réseaux sociaux. Pourtant, des jugements sur la santé (physique et mentale) de la Femme existent encore et la condamnent au silence.

En conclusion, et pour avoir un point de vue optimiste, on peut noter que le nombre de films réalisés par des femmes est en augmentation, partout dans le monde, ici au Québec et en France en particulier. Et si on applique le Test de Bechdel, avec une question comme : « Y a-t-il au moins deux personnages féminins identifiables (+ elles doivent être nommées) ? » on peut constater que ce cinéma au féminin est de plus en plus présent. On peut penser également à Portrait de la jeune fille en feu (de Céline Sciamma), qui illustre aussi une lutte contre un carcan patriarcal, mais avec une utilisation de silences, de non-dits d’un côté et un travail de la caméra attentive aux petits gestes de l’autre, regards, respiration. Bref, la contribution de ce cinéma au féminin à l’histoire du cinéma est maintenant totalement incontournable.