Poppy Field
P R I M E U R
[ Inédit ]
SUCCINCTEMENT.
À Bucarest, de nos jours, Cristi doit composer avec son travail dans une gendarmerie et sa vie privée, marquée entre autres, par son orientation sexuelle.
CRITIQUE.
[ Sphère LGBT ]
★★★★
texte
Élie Castiel
Un premier long métrage violemment puissant, d’une liberté de ton inaccoutumée, sensorielle, posant un regard sans concessions sur la réalité homophobe d’une Roumanie prisonnière de son conservatisme hérité des pays de l’Europe de l’Est et des Balkans. Un machisme patriarcal, mais en même temps totalement assimilé par les femmes, un comportement qu’elles défendent.
Comme l’illustre impétueusement ce long plan-séquence majestueux dans une salle de cinéma de la capitale où on tente de projeter un film à thématique LGBT. Un groupe de citoyens d’extrême droite arrête le début de la projection, brandissant des étendards patriotiques et des icônes religieuses, provoquant une certaine violence avec l’assistance. Craintifs, la plupart des spectateurs ont simplement quitté.
Cristi est parmi les forces de l’ordre. La caméra le capte avec une distanciation des plus discrètes, tout en se permettant un 360º subliminal qui se faufile à travers les rangées et se glisse sans qu’on se rende compte dans le hall d’entrée du cinéma ou les prises de bec ont lieu entre parties opposées et la gendarmerie. Le film est au service du plan-séquence, choix esthétique qui se plie amoureusement au récit, d’une simplicité sociale et politique époustouflante. Le discours se juxtapose ainsi avec une précision bouleversante à la narration, ici, comme si la fiction se transformait en reportage documentaire. Jebeleanu, ouvertement gai, sait exactement ce qu’il veut montrer. Sa parole est d’une émotion palpable. Elle ressemble à un cri que viennent accentuer les paroles incertaines de quelques spectateurs, surtout spectatrices, qui se trouvaient dans la salle et capté(es) par la caméra. Aucun champ/contrechamp, mais une chorégraphie plan-séquentielle qui doit sa maturité autant au cinéaste qu’au directeur photo.
Interdit ouvertement d’aimer
Un film de courte durée, moins que 90 minutes, mais assez pour discourir sur la thématique, non seulement sur la difficulté d’appartenir au groupe LGBT dans un territoire où l’intolérance s’affiche comme croix de fer nationale, mais aussi sur la relation du couple gai – Dans la première partie du film, Cristi a reçu son amant, Français d’origine arabe (expliquant le dialogue parfois en arabe et en français). Le réalisateur se permet une joute érotique magnifiquement filmée. À notre connaissance, c’est bien la première fois que la Roumanie présente ouvertment un film sur l’homosexualité avec autant de précision. Il était temps, comme il est temps aussi pour ces contrées encore dominées par un machisme récalcitrant.
Mais dans privé, il y a aussi la sœur de Cristi, un peu envahissante, qui se prose des questions sur la présence de Hadi dans l’appartement de Cristi, donnant lieu à quelques moments magnifiquement mis en scène.
La fin, ouverte, demeure soulignée de zones d’ombre. En fait, bien plus que cela. Elle diffuse l’idée selon laquelle la société roumaine n’est pas prête à changer son regard sur la question. Les interdits prolifèrent de génération en génération.
Avec Poppy Field, Eugen Jebeleanu signe un premier essai libérateur, un pari qui prend des risques avec les institutions et le public. Aucune musique originale dans ce film, mais une prise de son qui transperce le discours dont il est question avec une rare tension.
Le message positif est clair : c’est celui d’avoir réalisé le film. C’est déjà un pas dans la bonne direction.
En passant, Conrad Mericoffer (Cristi) et Radouan Leflahi (Hadi) composent dans un naturel des plus inusités deux amants pris dans la tourmente d’un amour à distance. Une chose est certaine. Dans la vie de Cristi comme sur celle des homosexuel(les) roumain(es), on voit planer l’incertitude, le doute, la peur et l’insatisfaction d’une vie loin d’être remplie. Comme gage de survie : faire semblant.
Avec Poppy Field (traduction littérale : Champ de coquelicots), Eugen Jebeleanu signe un premier essai libérateur, un pari qui prend des risques avec les institutions et le public. Aucune musique originale dans ce film, mais une prise de son qui transperce le discours dont il est question avec une rare tension.
Le film est présenté au 2021 Romanian Film Festival Seattle. Les organisateurs de l’événement ont gracieusement accepté de nous envoyer le lien du film. En espérant qu’il puisse être présenté un jour à Montréal.
FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Eugen Jebeleanu
Scénario
Ioana Moraru
Photo
Marius Panduru
Montage
Catalin Critutiu
Son
Alex Dragomir
Genre(s)
Drame
Origine(s)
Roumanie
Année : 2020 – Durée : 1 h 21 min
Langue(s)
V.o. : multilingue ; s.-t.a.
Câmp de maci
Dist. [ Contact ]
[ Film Movement – États-Unis & Canada]
Classement suggéré
Interdit aux moins de 13 ans
[ Déconseillé aux jeunes enfants ]
Diffusion @
2021 Romanian Film Festival Seattle