Je suis un produit

CRITIQUE.
[ SCÈNE ]

★★★ ½

texte
Élie Castiel 

 

L’intégration est-elle

un enjeu social ou économique ?

   Mais est-il vraiment possible d’avoir accès à « ces » intégrations ? Si dans la pièce en question, Jihane – que Houda Rihani interprète avec forte conviction, présence sur scène assurée, timide lorsqu’il le faut, parfois avec ce regard « victimaire » propre à la majorité des nouveaux venus (dont moi-même il y a plusieurs décennies, mais je suis depuis longtemps vacciné !), comme s’il fallait, par cette attitude, changer les choses –  peine à se trouver un emploi, dans la vraie vie, elle a dû attendre avant d’avoir un rôle théâtral important en français, faut-il préciser. Sur ce plan, dans le milieu anglophone, les portes sont plus ouvertes. Mais ça, c’est une autre histoire. Bien que dans Je suis un produit… Enfin !

Il y surtout le texte de Simon Boudreault, celui du légèrement moins bon Comment je suis devenu musulman. Comme s’il existait des recettes pour se convertir ou comprendre la différence. Passons à autre chose.

 À l’instar des dramaturges québécois, il mise surtout sur ce qui se fait partout en Occident, c’est-à-dire défier les classiques quand il le faut, se rapprocher le plus près des enjeux sociaux actuels, comprendre les communs des mortels, parler leur langue, même si par moments, sans trop d’affectation ou d’afféterie, voire même d’esprit supérieur, éjecter avec mesure des idées intellectuelles (adjectif terriblement galvaudé de nos jours) ou philsophiques dans un esprit populaire.

Et on parle de branding, de manipulation des consommateurs, de stratégies plus ou moins maladroites, de joutes rusées bien orchestrées. Bref, de tout ce qui nourrit l’économie du marché dans tout milieu capitaliste qui se respecte. Et on parle d’immgration, des nouveaux venus, ceux qui tentent de leur mieux pour s’assurer d’un futur, presque immédiat, garanti.

Éric Bernier (Jeff) et Houda Rihani (Jihane).
Entre la rigidité du pouvoir et la conviction d’être. Un (en)jeu hiérarchique.
Crédit : Patrick Lamarche

Soit, c’est ce qu’on trouve dans Je suis un produit, dont le même Boudreault assure la mise en scène, de peur sans doute qu’entre d’autres mains, le résultat ne soit pas aussi probant. Et dans un sens, il n’a pas tout à fait tort.

C’est dynamique, entraînant, le rire est assuré, le sérieux prend son envol dans des réparties qui finissent par convaincre le plus récalcitrant des incrédules. Et le tour est joué. Car le théâtre, tout comme le cinéma de fiction, s’il s’apparente à la vie, il appartient à une discipline artistique où la manipulation s’exerce avec une rigueur exemplaire. Et c’est bien ainsi, car tout excès de réalisme peut désorienter, blesser, devenir quasi personnel.

Dans le rôle de Jeff, le patron d’une boîte de marketing, Éric Bernier s’empare de la scène, dans toute son horizontalité, pour défendre un personnage qui, vu son statut social, peut se permettre les gestes, pour certains (dé)convenus, les comportements les plus excessifs. Et Bernier excelle dans la matière. Ces autres brefs moments de sérieux montrent avec droiture une autre image.

Catherine Ruel, une des employées qui se place aux premiers rangs,  joue bien celle qui se laisse influencer par les idées nouvelles, comme le port du voile – honnêtement, je n’ai aucune opinion sur cette question – un des thèmes centraux de ce texte qui revendique son côté légèrement édifiant.

… on parle de branding, de manipulation des consommateurs, de stratégies plus ou moins maladroites, de joutes rusées bien orchestrées. Bref, de tout ce qui nourrit l’économie du marché dans tout milieu capitaliste qui se respecte. Et on parle d’immgration, des nouveaux venus, ceux qui tentent de leur mieux pour s’assurer d’un futur, presque immédiat, garanti.

Bien sûr, l’entrepreneur et ex de Jeff, joué avec sincérité par Louis-Olivier Maufette, passe d’un état à l’autre avec une nonchalance parfois touchante, mais pas trop.

Et puis Alexandre Daneau, puissant (sincèrement, ce n’est pas un jeu de mots), extraordinaire, charimastique, émouvant, volant la vedette sans mauvaises intentions, prenant l’espace dramaturgique comme s’il s’agissait d’un second « chez soi ».

Le public réagit et comme tout bon critique, j’observe très légèrement à droite et à gauche et constate qu’il est parfois désemparé, mais en même temps conquis par cette « leçon de morale sociale ». Mais une fois sorti de la salle, qu’en sera-t-il ? Le théâtre (et encore une fois, le cinéma) imite la vie, mais ce n’est pas la vie.

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
Simon Boudreault

Mise en scène
Simon Boudreault

Assistance à la mise en scène
Marilou Huberdeau

Interprètes
Éric Bernier
Alexandre Daneau
Louis-Olivier Maufette
Houda Rihani
Catherine Ruel

Décor
Richard Lacroix

Éclairages
André Rioux

Costumes
Suzanne Harel

Musique
Michel F. Côté

Vidéo
Robin Kittel-Ouimet

Production
Simoniaques Théâtre
La Manufacture

Durée
1 h 50 min

[ sans entracte ]

Diffusion @
La Licorne
[ Salle principale ]
Jusqu’au 18 décembre 2021

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]