Platonov Amour Haine et Angles morts
CRITIQUE.
[ SCÈNE ]
★★★★ ½
texte
Élie Castiel
L’apothéose
des vivants
À 18 ans, Tchekhov rédige Platonov, un âge où tout est permis, où l’adrénaline intellectuelle remplit le cerveau et se dirige dans toutes les directions, où toutes les audaces sont permises et les enjeux sociaux et amoureux multipliés.
Aujourd’hui, époque des relectures, des adaptations au diapason de leur temps. Et toujours le même combat sur les relations du couple, sur la sexualité qu’on refuse, justement en l’expérimentant, sur les rapports hommes-femmes, toujours aussi tendus, sur l’ambiguïté de l’orientation sexuelle, sur les rapports amour-argent entre les conjoints de fait, une véritable aventure économique. Également, sur les crimes de la passion. Tous ces éléments qui, mis ensemble, ne sont que la lutte pour la survie. Exister selon ses propres valeurs.
La mise en scène d’Angela Konrad brille par sa supériorité dramaturgique. La scène, prise dans ses suprêmes horizontalité et verticalité n’est pas un simple accessoire, mais un terrain de luttes, de combats, de dialogues insoutenables, de délires amoureux, de turpitudes furieuses au nom de l’incertitude qui nous tenaille sans cesse et nous engloutit. La conception sonore de Simon Gauthier participe tantôt dramatique, parfois fiévreusement à ce combat entre la turpitude et l’émotion qui essaie de se frayer un passage.
Un décor que Konrad a elle-même assuré, sans doute voulant que son adaptation ne subisse la moindre affectation extérieure. Et c’est tant mieux puisque le résultat est d’une minutie hallucinante. Cette entrée (et sortie) au fond, à gauche de la scène, n’est que la métaphore d’un monde qui s’écroule et qui revient sans cesse. Entre la scène et l’espace public, à peine une distance. Nous sommes dérangés devant tant d’exclamations, de bruits et de fureurs exprimés.
Platonov Amour Haine et Angles morts. Aucune ponctuation. Comme dans la Rome antique. Amalgamer le personnage à tout ce qu’il représente, à ses liens frauduleux avec les femmes… et pourquoi pas aussi, les hommes (générant un certain inconfort dans la salle – Pour un Québec, en apparence libéré, on peut s’étonner. Mais bon). Les femmes dans Platonov paraissent libres, mais sont prêtes à tout pour le posséder. Les couples se déforment au nom d’une liberté provisoire. L’instinct domine, l’impulsion exerce un pouvoir de séduction troublant, inquiétant, même touchant.
N’est-il pas question d’aujourd’hui ? Des inégalités ? Des mauvaises intentions ? De cette recherche effrénée d’un bonheur inaccessible ? L’attachement affectif à deux est-il encore possible ?
On assiste à une incroyable bacchanale à huit personnages. À un happening débridé qui, musique(s) aidant, transforme la scène en un terrain glissant où tout est permis. Les personnages sont dans un état d’apothéose qui les situe au rang des Dieux. Et les Dieux, eux, sont toujours puissants. Jusqu’au jour où n’a plus besoin d’eux.
Stagnation affective, immobilisme empreint de déni, s’approcher des autres pour se tendre vers soi. Le choix musical, frénétiquement rigoureux, accentue davantage le côté intellectuellement épique de la proposition.
Mais en fait, qu’est-il arrivé à Platonov ? Les cinq comédiennes et les trois comédiens, sous l’effet-Tchekhov, car il est présent malgré la modernité de l’adaptation, en fait, sans doute dû à sa contemporanéité, subissent inlassablement le courroux des Dieux.
ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
Anton Tchekhov
Traduction
André Markowicz
Françoise Morvan
Adaptation
Angela Konrad
Version québécoise
Michel Tremblay
Mise en scène
Angela Konrad
Assistée de William Durbeau
Assistance à la mise en scène
Marilou Huberdeau
Interprètes
Violette Chauveau, Samuel Côté
Pascale Drevillon, Renaud Lacelle-Bourdon
Debbie Lynch-White, Marie-Laurence Moreau
Diane Ouimet, Olivier Turcotte
Décor
Angela Konrad
Éclairages
Cédric Delorme Bouchard
Costumes
Suzanne Harel
Son
Simon Gauthier
Musique(s)
Iggor : Viande – de l’album Savage Sinusoid
Armin Van Buuren et Shopova : Our Origin
Cigarettes After Sex : Sunsetz et Apocalypse
Perry Blake : California et Ordinary Day
Vidéo
Julien Blais
Production
Le Groupe de la Veillée
LA FABRIK
Durée
2 h 10 min
[ sans entracte ]
Diffusion @
Prospero
[ Salle principale ]
Jusqu’au 11 décembre 2021
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]