Steven Soderbergh,
anatomie des fluides

RECENSION.
[ Essai-Cinéma ]

★★★ ½

texte
Élie Castiel

La facette « anthropologue » de Pauline Guedj, entre autres, journaliste et maître de conférences à Lyon 2 , est évidente dans son tout dernier essai consacré au cinéma de Steven Soderbergh. On lui doit, parmi ses nombreux écrits, un essai sur Luis Malle, cinéaste franco-français par excellence même si, à un certain moment dans sa carrière, il s’est épris de l’Amérique en signant réalisations mémorables.

   Existentiellement parlant, un dénominateur commun entre les deux cinéastes : leur individualisme aussi conquérant qu’éclairé qui les démarque des autres hommes et   femmes de cinéma.

   Un prologue, trois chapitres et un épilogue. En fait, le prologue aurait très bien pu être un chapitre de plus, quitte à profiter d’un avant-propos d’un des membres de Playlist. Mais bon… des mots clés relatifs à chacune des parties soulèvent la proposition de Guedj et la mènent à bon port : Méthode; Cerveau/Écran; Corps; Flux; Cinéma/Movies.

Manifestations

compulsives

   Il y a une méthode-Soderbergh que Guedj alimente avec maints détails comme si elle était présente lors de tels ou tels tournages. Elle utilisera, à défaut, des extraits d’entrevues. Elle dira que « … Si vous ne comprenez pas ce que vous allez voir, c’est entièrement de votre faute… Sur le tournage [de Schizopolis] Soderbergh reprend goût au cinéma, s’amuse, expérimente des techniques de filmage, de narration, de jeu, de ton. [C’est] son ‘deuxième premier film’, comme il aime à l’appeler. La fin de ‘l’école de cinéma’ » (p. 16). Les premiers balbutiements d’une méthode qu’il suivra par la suite. Comme si dans chaque tournage, il découvrait quelque chose de nouveau. L’art de la réalisation ou une création en constante gestation.

  Soderbergh semble déclarer tout bonnement que « Le cerveau, c’est l’écran ». Métaphore qui se concrétise à travers quelques films comme Kafka, King of the Hill ou encore The Underneath / À fleur de peau. À lire cette partie de l’essai de Guedj, on suit le parcours du cinéaste comme si à chaque réalisation, il était question de soumettre le film à une espèce d’encéphalogramme créatif. L’écran, en quelque sorte, n’est plus la toile blanche que nous admirons, mais au contraire, tout cet arsenal cinématographique, ce qui se fabrique avec toutes les contraintes que cela impose, entretenait un rapport étroit et quasi incestueux avec la vie. Tous les films se valent… « Guidé par des enjeux de cohérence à l’intérieur de chaque film, Steven Soderbergh a développé une filmographie au sein de laquelle les œuvres se répondent…, p. 41) ». Il y a là l’acharnement d’un ‘auteur’ qui nous rappelle que son œuvre est en quelque sorte unique, en continuelle exploration. En passant, on trouvera dans ce même chapitre un brillant exposé sur Che, une controverse aux allures de saga.

Des flux non pas liquides, mais concrets, des pièces à conviction, des morceaux épars qui, d’un coup, se joignent pour former quelques choses de cohérent. Une cohérence que Pauline Guedj retient tout au long de ce voyage dans l’univers d’un cinéaste favorablement compulsif, aux idées abstraitement claires.

   Depuis quelques décennies (fin des années 80, jusqu’à nos jours), le corps au cinéma (et pourquoi pas les autres disciplines de la représentation) est devenu partie intégrante de la création. Mais bien plus, les intervenants le soumettent à tout genre d’exercice intellectuel, philosophique, politique ou encore sexuel en ce qui a trait à ses manifestations. Impossible de sortir de ce labyrinthe prodigieux, de ce cercle infernal qui nous lie au cerveau. Du coup, « Ce travail sur les corps des interprètes se retrouve aussi dans les collaborations de Steven Spielberg avec des acteurs non professionnels, captant ainsi l’image de corps ordinaires après avoir filmé ceux des stars hollywoodiennes…, p. 77 » Une autre méthode-Soderbergh? Sans doute et Magic Mike semble tout indiqué pour l’explique.

   Et puis, les flux, ceux faisant partie du titre du livre et ceux du troisième épisode, avant la conclusion. Des flux non pas liquides, mais concrets, des pièces à conviction, des morceaux épars qui, d’un coup, se joignent pour former quelques choses de cohérent. Une cohérence que Pauline Guedj retient tout au long de ce voyage dans l’univers d’un cinéaste favorablement compulsif, aux idées abstraitement claires.

   Dans la filmographie de Soderbergh, les titres français ne sont pas suivis de leur titres originaux. Dommage.

Pauline Guedj
Steven Soderbergh,
anatomie des fluides
Paris : Playlist Society, 2021

160 pages
 [ Sans illustrations ]
ISBN : 979-1-0960-9848-4
Prix suggéré : 26,95 $
[ Commandes locales ]

ÉTOILES FILANTES
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★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]