L’homme de paille :
L’instrumentalisation du racisme, des
libertés publiques et de Monsieur Patate
RECENSION.
[ Sociopolitique ]
★★★ ½
texte
Élie Castiel
« Rêveries
d’un
promeneur
solitaire »
D’entrée de jeu, on constate, et on peut bien le comprendre, que Frédéric Bérard a une prédilection pour Albert Camus, lui le Français, dont, entre autres, le catholicisme n’est pas nécessairement une foi, mais un rapport philosophique au monde, et Hannah Arendt, elle la juive-allemande, rescapée de la Shoah et qui a fait de cette expérience un récit existentiel sur la notion du mal. Deux colonnes de la pensée du XXe siècle, un moment de l’Histoire où malgré les tragédies encourues, était équipé de têtes pensantes, d’homme et de femmes totalement inspiré(es) pour combattre intellectuellement les tares et vicissitudes de leur époque.
Mais L’homme de paille est un essai bien vivant, l’esprit du livre est contemporain, même très proche de notre actualité québécoise, un journal de bord s’étalant de février à décembre 2021, et pas nécessairement par ordre chronologique. Suivant un rythme particulier bien bérardien, une « mise en scène » inspirée des états d’âme, d’incidents de parcours, de faux pas et autres incidences névralgiques de nos élites, nos penseurs qui nous gouvernent, mais souvent s’improvisent.
À première vue, on se demande que fait dans ce livre la préface de Maïté Labrecque-Saganash (pour la petite histoire, l’écriture engagée du quotidien Métro, particulièrement d’avant la pandémie) qui, en tant qu’autochtone, peut se permettre de raconter le récit de son identité. Effectivement, que fait son avant-propos dans ce puzzle sociopolitique personnel, à la première personne? Tout simplement un pont, un rapport fraternel envers l’auteur avec qui elle partage des idées et plus que tout, transformant le récit oral, issu de sa famille, notamment de sa grand-mère, en une aventure littéraire bien sentie. Et en plus, une voix bouleversante, militante par moments, mais ne transpirant jamais la révolte agressive.
Et puis Frédéric Bérard. Comme d’habitude, sa plume amalgame les formes et les genres, l’oral, l’écrit, le français international, le québécois totalement assumé, notamment dans ses jeux de mots imbattables, un humour caustique qui n’a nul besoin de scène pour s’exprimer – contrairement à cette obsession bien de chez nous pour les stand-uppeurs récidivistes et jamais aussi nombreux.
Force est de souligner que Bérard a cette grande chance de s’exprimer (par la voix et l’écriture) dans un territoire plutôt consensuel qui n’aime pas trop les débats, même si depuis l’épisode des « casseroles » (ça fait quand même dix ans) le débat ou plutôt un « certain » débat a quand même réussi à faire du chemin. Une petite parenthèse (en matière de cinéma de fiction, notre cinématographie nationale n’en a pas vraiment profité, s’en tenant la plupart du temps à des récits nombrilistes). Mais bon, ça c’est une autre histoire.
C’est sincère, ça donne la chair de poule. Vraiment! Mais surtout, ça montre que le Québec est « capable ». S’il se donne la peine et délaisse une fois pour toutes une partie de son confort indifférent.
Impossible de suivre parfois Bérard. Il y a, chez cet « homme de paille » (en fait, est-ce bien lui?) un rapport à l’écriture, la création et la pensée qui relève du défi – on dit maintenant « challenge », de cette envie incontrôlable de confronter l’autre, celui avec qui il ne partage pas ses propres idées. Il parle de tous les anciens et les nouveaux de l’édifice social et politique, souvent chancelant, mais tenant tout de même, évitant presque de s’écrouler. Son parcours intentionnellement bordélique suit une trajectoire au diapason de son époque. Les plus jeunes, de plus en plus nombreux, comprendront.
Et puis, pris par un élan d’émotion, on peut lire à propos d’un certain Morissette (vous saurez de qui il s’agit en lisant le livre – pardon pour la plug) présent en classe, devant les étudiants de Bérard : « … vous savez, nous, tout ce qu’on veut, c’est d’être considérés comme des citoyens à part entière. Contribuer temps plein. Or, quand je vous vois monter les marches, progresser, je demeure perso, derrière. Parce que j’en suis incapable, physiquement. Mais avec un peu de bonne volonté et de leadership politique, en prenant les mesures nécessaires, je pourrais vous rejoindre. À part entière. » (p. 129)
C’est sincère, ça donne la chair de poule. Vraiment! Mais surtout, ça montre que le Québec est « capable ». S’il se donne la peine et délaisse une fois pour toutes une partie de son confort indifférent.
Frédéric Bérard
L’homme de paille :
L’instrumentalisation du racisme, des
libertés publiques et de Monsieur Patate
Préface de Maïté Labrecque-Saganash
Montréal : Somme toute, 2022
144 pages
[ Non illustré ]
ISBN : 978-2-8979-4310-3
Prix suggéré : 17,95 $
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]