La tolérance pervertie
RECENSION.
[ Sciences sociales ]
★★★ ½
texte
Élie Castiel
Les raisons ambigües
de l’acte démocratique
La grande partie de l’essai sociologique de l’anthropologue québécois Raymond Massé s’adresse particulièrement aux adeptes de cette discipline, toutes influences confondues, enseignants, universitaires, étudiants en études connexes, d’où un style d’écriture approprié bien que gardant constamment, on suppose, intentionnellement, un penchant vers l’accessible, sans tomber néanmoins dans les facilités.
Rapports sociaux, divers niveaux de tolérance, notion nouveau-siècle se rapportant au « vivre ensemble », poids de la religion sur nos vies et sur celle des autres et plus encore, racisme, homophobie, xénophobie, individualisme occidental contre collectivisme oriental, nouveau phénomène de la cancel culture (culture de l’effacement) autant de « phobies » et de « tempéraments » dressant le portrait d’une société du nouveau siècle en pleine remise en question.
Massé, dans le très lumineux chapitre 8, ‘Pour une tolérance critique et engagée’, affirme que « la tolérance se décline en une multitude d’Églises, de sectes et groupuscules inspirés par les grandes religions de la planète. » (p. 225); comme si devant les angoisses que projette de plus en plus ce nouveau millénaire, la foi devenait le seul rempart contre l’agression, l’incompréhension, le rejet. Mais n’a-t-il pas toujours été le cas? Respect envers l’autre, tout en étant conscient que chaque groupe, ou groupuscule, individuellement, semblent avoir le dernier mot, le seul à tenir la vérité. On retient que nous nageons dans un océan social planétaire où chacune semble être l’unique roi dans son royaume.
La tolérance selon Massé s’inscrit dans une sorte de va-et-vient incessant entre les libertés accordées instinctivement comme projet de société – individuelles, sexuelles, religieuses, celles qu’on s’auto-accorde, les revendiquées, les sacrifiées – et celles dont on s’accommode dans toutes démocraties qui se respecte ou du moins essaie.
L’auteur soulève, entre autres, l’idée que la tolérance pourrait être parfois la porte d’entrée à l’intolérance. Bel argument! Nous ne pouvons que lui être reconnaissants dans ce jeu de cache-cache d’autant plus pervers que moral pour la simple raison qu’il nous pousse à approfondir nos idées et à ne pas prendre tout pour acquis.
Non pas un essai exhaustif, mais entrée fulgurante dans une discipline sociale actuelle, enracinée. Entre le religieux et le profane, quelle voie suivre? On retiendra surtout que dans ce voyage périlleux dans le terrain de la tolérance, une sorte d’ambigüité qui ne trouve écho que dans la « nuance ».
Si d’une part, on retrouve des termes pour connaisseurs de la matière (essentialisme culturaliste…) force est de souligner que dans l’ensemble, Massé parvient à entretenir un rapport complice et jubilatoire avec le lecteur.
Dans ce qu’il qualifie comme « âge de la colère » (p. 93), Massé fait en quelque sorte le portrait (procès?) d’un Occident présent livré en pâture aux dérapages de l’individualisme conquérant, notion existentialiste qui a perdu le sens du partage. Mal du siècle.
Sans toutefois blesser, il n’est point tendre envers les religions, sans être, notamment celles du Livre, qui imposent des lois selon des textes écrits, apparemment guidés par des voix divines, célestes.
Non pas un essai exhaustif, mais entrée fulgurante dans une discipline sociale actuelle, enracinée. Entre le religieux et le profane, quelle voie suivre? On retiendra surtout que dans ce voyage périlleux dans le terrain de la tolérance, une sorte d’ambigüité qui ne trouve écho que dans la « nuance ».
Raymond Massé
La tolérance pervertie
Paris : Belles Lettres, 2022
240 pages
[ Non illustré ]
ISBN : 978-2-2514-5291-3
Prix suggéré : 32,95 $
ÉTOILES FILANTES
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½ [ Entre-deux-cotes ]