Elenit
CRITIQUE.
[ Scène / FTA ]
★★★★ ½
texte
Élie Castiel
Le sublime
et
l’animalier
Une véritable orgie de sons, de lumières, de divagations extrêmes. Entre le cirque de l’absurde et le théâtre crépusculaire. Allégorie d’un monde en chute libre qui semble s’extasier devant ce terrible destin. Triomphe de la déraison sans doute. Et dans le même temps, une extraordinaire atmosphère camp ou l’imaginaire dégenré propulse ses plus étranges excès et possibles revendications. Libérateur pour d’aucuns, désorientant pour d’autres.
Euripides Laskaridis, un prénom qui en dit long, comme si l’Antique Grec, le créateur recréait sa Médée en mode outrageusement subversif. Un spectacle qui s’imprègne de sa propre morale, c’est-à-dire « aucune » pour inventer le chaos et célébrer la libération des sens. Tout est là, dans Elenit, la civilisation occidentale dans ses contours les plus glorieux et en même temps les plus décadents, s’en aller vers un inconnu qui fait peur au lieu d’apaiser.
Laskaridis propose un spectacle grandiose en s’imposant le premier rôle. Il se travestit, se mutile et malgré cela peut encore se métamorphoser pour continuer à décortiquer l’âme de ses protagonistes, une sorte de Chœur Grec composé de nouveaux humanoïdes.
Dante est l’une des composantes d’Elenit, dans une version colorée puisque chargé d’un humour circonstanciel qui ne dément jamais, poussant les spectateurs à soit abdiquer ou à collaborer à cet étrange jeu du « chat « et de la « souris ».
En rencontre avec le public après le spectacle, où je ne suis resté que quelques minutes, le jeune dramaturge-interprète admet ne pas savoir beaucoup de choses sur tout. Il est plutôt du genre instinctif. Extrême humilité ou tour de prestidigitation face à un public conquis?
Je quitte pour ne pas me laisser influencer par ses paroles. Dans la vraie vie, un bel homme, un beau jeune homme, la trentaine, timide hors-scène, calculant ses mots, laissant son interlocuteur-interprète poser les questions.
Mais sur scène, là où il se sent maître des lieux et des protagonistes autour de lui, le calme se transforme en frénésie, en toutes sortes de variations sur la manipulation du corps. La mise en scène, toujours intègre, jongle amoureusement avec diverses disciplines artistiques, notamment avec la peinture (l’interlocuteur citera l’Espagnol Diego Velázquez) le son (puisque c’est un art technique quand même), l’art dramatique bien entendu et surtout la civilisation grecque à travers ses mythes anciens et plus proche de nous, l’art du Karaghiósis, ce personnage au gros né de marionnettes, si populaire dans l’Empire ottoman et en Grèce.
Un D.J. à droite de la scène, expert en la matière. Une éolienne à la gauche qui, selon les conditions météorologiques tourne à cadences changeantes. Les accessoires scéniques rappellent d’une certaine façons l’univers de David Cronenberg (tiens, son film Crimes of the Future / Les crimes du futur sort cette semaine – voir ici.).
Elenit, comme expliqué par l’animateur de cette rencontre serait une sorte de composante chimique. Qu’importe. Le spectacle dont nous sommes les témoins privilégiés se passe dans un lieu où les Dieux de l’enfer dominent, où les statues – comme celle qui ressemble aux « Ailes de la victoire » semble la seule référence au monde terrestre que nous connaissons.
Mais plus que tout, au fond de cette histoire sublimement farfelue, un discours sur l’Occident et plus particulièrement l’Europanéité. Les valeurs envolées, les territoires perdus, ceux conquis.
Et comme tout artiste hellène qui se respecte, c’est très évident que c’est de la Grèce que Laskaridis, le bien-nommé, parle. D’un nouveau lieu du monde qui a finalement accepté de faire partie de l’UE, notamment dans ses acquis et revendications culturels.
Et le spectacle, d’une probité exemplaire, n’est que le dur combat vers cette nouvelle assimilation ou mieux dit «réappropriation».
Tout est là, intègre, disparate, fragmentaire, coupé en morceaux, s’adonnant à un parole insensée (on reconnaît quelques mots d’anglais, de français, de grec, d’un ramassis qui englobe toutes les Nations même si ça ne veut rien dire.
En attendant, l’espace scénique se transforme en une porte vers les entrailles de l’âme humaine et ses multiples paradoxes.
ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Concept
Euripides Laskaridis
Mise en scène
Euripides Laskaridis
Assistance à la mise en scène
Geli Kalampaka
Interprètes
Eirini Boudali, Nikos Dragonas
Chrysanthi Fytiza, Manos Kotsaris
Euripides Laskaridis, Thanps Lekkas
Dimitris Masoukas, Efthimios Moschopoulos
Giorgos Poulios, Fay Xhuma
Éclairages
Eliza Alexandraopoulou
Costumes
Angelos Mentis
Musique & Son
Giorgos Poulios
(co)Production
Onassis Stegi – Athens
FTA
Durée
1 h 40 min
[ Sans entracte ]
Diffusion @
Place des arts
[ Jean Duceppe ]
Billets @
FTA
Ce soir et demain
3 et 4 juin 2022
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]