Proje(c)t; les bonnes

CRITIQUE.
[ Scène ]

★★★ ½

texte
Élie Castiel

Les diverses époques suggérées par la plume et l’imagination
de Roxane Loumède relèvent d’un rapport indicible à la mise
en scène, chacune d’elle, débutant par la Grande Dépression,
se cachant des yeux du spectateur, comme si une ouverture
trop pressante à chaque temps arracherait autant l’adaptation
que l’original de son caractère intemporel.

Pour apprécier ce Proje(c)t; les bonnes à sa juste valeur, il est primordial de reconnaître que les scènes contemporaines osent tout, déforment les codes lorsqu’il le faut (et même souvent lorsqu’il ne le faut pas), s’ouvrent à ces multiples tentations permettant à des tentatives osées de s’afficher. Quitte à confondre, désorienter ou se permettre des excès, notamment dans le domaine de l’interprétation.

Adapter en demeurant soi-même

Les trois protagonistes de ce récit sur l’attachement filiale, la jalousie, le désir de meurtre, l’insoutenable légèreté de la solitude, l’attente de l’aimé, même si faisant partie du monde interlope, participent toutes de ce jeu dramatique qui suggère autant l’improvisation que le contrôlé. Les trois interprètes se donnent entièrement à ce jeu pervers, mais autant idolâtré que constitue l’art de l’interprétation.

Les deux sœurs complices, Solange et Claire, sont les gouvernantes, mieux dit les servantes de cette Madame de Westmount. Entre cette partie du centre-ouest de l’île et l’est de la métropole, un gouffre qu’on ne verra qu’à travers des paroles insensées, des mots qui blessent, des caprices totalement dépourvus d’imagination.

Camila Forteza et Marie-Ève Bérubé.
Une complicité à toute(s) épreuve(s).
Crédit : Phanie Éthier

L’approche subtilement saphique de Loumède aide à mieux comprendre les rapports au corps, au corps féminin il va de soi, là où une sorte d’inceste non délibéré s’établit entre les deux sœurs, émanant également de la sexualité explosive mais non dénuée d’exagérations de Madame. Une démonstration tel un spectacle érotique, de strip-tease ou d’autres machinations de la chair.

Le français et l’anglais fonctionnent à merveille. Aucune objection. Pour l’espagnol, on se pose bien la question. Aucun préjugé contre cette langue, d’autant plus que c’est ma langue maternelle. Mais bon.

Les abysses, de Nikos Papatakis

Un début magnifiquement fracassant. Une fin sans concessions. Troublant et totalement submergé par une étrangeté agréablement diabolique.

En exergue, Proje(c)t; les bonnes se détache presque totalement de l’œuvre de Genet pour construire quelque chose de remarquablement propre à soi. D’où les vocables Projet et Project, un indice qui dit tout haut qu’il s’agit bel et bien d’une réforme, d’une déconstruction de l’original.

Début des années 60. Le cinéaste franco-grec Nikos Papatakis avait adapté le même écrit dans son troublant Les abysses, plus proche de l’original, mais dans le même temps suggérant des envolées proches du minimalisme et d’une atmosphère anxiogène dominée par un humour pince-sans-rire vorace et déconcertant.

Ici, avec Roxane Loumède, la proposition va encore plus loin : divers registres dans l’interprétation des trois protagonistes, rapports entre réalité et fantaisie, décomposition du rapport au corps qui rappelle en quelque sorte l’âge d’or du cinéma de Peter Greenaway, tous ces éléments formels participent à cette mise en abyme entre Genet et Loumède, entre le récit et ses interprètes, entre le regard des spectateurs et celui que la production porte sur eux.

Un début magnifiquement fracassant. Une fin sans concessions. Troublant et totalement submergé par une étrangeté agréablement diabolique.

Adaptation, Roxane Loumède.
Crédit : Phanie Éthier

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
Roxane Loumède

Conseillères dramaturgiques
Geneviève Gagné (français)

Anthony Kennedy (anglais)
Camila Forteza (espagnol)

Mise en scène
Roxane Loumède

Assistance à la mise en scène
Trevor Barrette

Interprètes
Marie-Ève Bérubé
Camila Forteza
Alexandra Petrachuk

Éclairages
Catherine Fournier-Poirier

Costumes
Sophie El-Assaad

Décors & Accessoires
Bruno Pierre Houle

Vidéo
Vladimir Alexandru Cara

Production
La Chapelle.
Scènes contemporaines.

Durée
1 h 05 min

[ Sans entracte ]

Diffusion @
La Chapelle

Jusqu’au 10 septembre 2002
19 h 30

[ Relâche mercredi 7 septembre ]

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]