Rêve et folie
CRITIQUE.
[ Scène ]
★ ★ ★ ★
texte
Élie Castiel
L’empire
des
sens
Dans sa jeunesse, Georg Trakl fréquente une école
primaire catholique, bien que ses parents soient de
confession anglicane (Protestants). Cette pseudo-
conversion aurait-elle influencé le jeune Georg
dans ses futurs écrits, ou du moins en partie?
Et pourtant, si l’on en juge par Rêve et folie, poème retenu pour illustrer le monde de Trakl, le ton est donné en image(s) avec une perception implacable, entre le décor et la parole incarnée. Le lieu que semble retenir le rideau (de scène), ce boisé où tous les mystères ont droit de cité, ce boisé, encore une fois, que projette une vidéo sur rideau-écran – comme si le théâtre, cet art des vivants, s’incrustait dans l’Histoire de la poésie, timidement, mais sûrement, inlassablement, provoquant autant la nature (feuillages, arbres, bruits de la forêt) que l’individu (l’acteur), perdu entre la quête de soi et ce que la nature lui offre.
Jamais décor et argumentation (récit, s’il en est un) ne furent aussi bien amalgamés en une seule entité. Essayer de comprendre le poème, joué en paroles, bien plus que récité, est un exercice futile. Il signifie le tout et le rien, l’être et le néant. Pourquoi s’entêter?
Brigitte Haentjens est consciente de ce paradoxe. Entre elle et les créateurs, elle octroie à Sébastien Ricard, énorme acteur-comédien qui prend toujours des risques – notamment pour son rôle controversé (pas pour tous, mais pour la majorité) dans L’acrobate (2019), le très beau film de Rodrigue Jean à l’accueil plutôt mitigé. Mais bon!
Et c’est justement cette entrée préméditée dans un univers quasi inexplorable dans l’art de la représentation qui rend Rêve et folie un pièce intime d’une fiévreuse, troublante, inquiétante et surprenante originalité.
Ricard est un physique, un corporel qui se met droit, se pose soudain parterre en faisant des contorsions sorties d’on ne sait où; le personnage dans Rêve et folie paraît saisi d’épilepsie, une sorte de amok car parfois saisi de folie animale. Tout au long de ces presque 35 minutes, il est imbu de jeu de scène, non pas celui d’un récit, mais pris dans les difficultés que convoque la poésie. Sa cruauté, son manque de clarté pour le commun des mortels. Mais plus que tout, Ricard essaie de se substituer à Trakl, de retenir cette source d’inspiration. Épuisant, et c’est ça sa force de conviction.
Une tentation non dénuée de risques. Mais peu importe. À ce stade de sa vie professionnelle, pour Haentjens, ne peut-on pas se payer un caprice? Dépasser les codes du récit théâtral traditionnel pour emboîter le pas vers l’inconnu, même si inhospitalier.
Et c’est justement cette entrée préméditée dans un univers quasi inexplorable dans l’art de la représentation qui rend Rêve et folie un pièce intime d’une fiévreuse, troublante, inquiétante et surprenante originalité.
ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte-poème
Georg Trakl
Traduit par Henri Stierlin
Mise en scène
Brigitte Haentjens
Assistance à la mise en scène et Régie
Vanessa Beaupré
Interprétation
Sébastien Ricard
Éclairages
Martin Sirois
Costume
Julie Charland
Vidéo
Karl Lemieux
Son ambiant
Frédéric Auger
Production
Sybillines / Théâtre de création
Festival international de la littérature (FIL)
Théâtre français du CNA
en codiffusion avec le Théâte de Quat’Sous
Durée
35 min
[ Sans entracte, suivi de discussion ]
Diffusion @
Théâtre de Quat’Sous
Jusqu’au 07 octobre 2022
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]