Cherry Docs

CRITIQUE
[ Scène. ]

★ ★ ★ ★

texte
Élie Castiel

Face à face

à

huis clos

Libero/Downey :
contronter le Néant.

Crédit : Acts to Grind Theatre

Il y a tout d’abord le  texte. Celui de David Gow, plus connu dans le milieu théâtral anglophone que francophone bien qu’il ait exploré ce dernier avec habileté et savoir-faire. Qu’importe puisqu’au Québec, c’est-à-dire à Montréal, la scène dans la langue de Shakespeare est majoritairement réservée au Centaur et au Segal, se partageant, il faut le dire sans complexe, la grosse part du gâteau. Pour le théâtre alternatif, celui qui inspire une idée plus radicale des formes d’expression, le MainLine Theatre se charge de représenter des valeurs sûres, comme les propositions de l’Acts to Grind Theatre.

Un titre de pièce indéfinissable, Cherry Docs, intraduisible en français. Mais il faut comprendre, sans leur vouloir, que les créateurs anglophones ont toujours œuvré dans la métaphore. Il faut savoir lire entre les lignes.

Docs, ces documents que l’avocat Danny Dunkelman tient entre ses mains, en vue de la défense de Michael Downey, accusé de crime raciste (qui lui aussi aura droit aux documents pour justifier son crime, apparemment non prémédité). Et Cherry qui veut dire « cerise », comme une sorte de confrontation entre la justice et la dégustation d’un fruit agréable. Entre la justice et la vérité. Entre l’Être et le Néant. Qu’importe les enjeux.

Dunkelman est  Juif ; il travaille dans le département de l’aide juridique et a été désigné pour défendre ce skinhead néonazi accusé du meurtre odieux. La victime : un  immigrant des Indes orientales.

Le face-à-face est on ne peut plus clair. Entre l’Histoire tragique d’un passé vieux de 80 ans et le présent, qui parfois carbure aux vieilles haines, une confrontation entre deux visions du monde, des choses, des valeurs. Et peut-être, à mesure que les fils se desserrent, jaillit une sorte de proximité. Au début illusoire puisqu’il n’est pas question, surtout pour le spectateur, de croire à un tel miracle. Et puis, il y a la logique de l’engagement. L’avocat, n’est-il pas être neutre dans cette affaire, même si le poids de sa culture l’exige autrement ?

Downey / Dunkelman : Un face à face (in)franchissable.
Crédit : Acts to Grind Theatre

Toujours est-il que nous sommes devant un duo d’acteurs formidables, Michael Aronovitch (Dunkelman) et Bryan Libero (Downey). L’affrontement est le plus souvent frontal, presque incestueux, comme si la corporalité les assemblait dans une relation platonique d’où ils ne peuvent échapper.

Autant  Aronovitch/Dunkelman and Libero/Downey comprennent le poids de la proximité.  Et plus qu’une complémentarité entre deux hommes, c’est aussi celle de deux confessions, styles de vie, classes sociales, éducation.

… malgré quelques hésitations sur le plan de l’interprétation dans une première partie, la seconde donne aux comédiens la possibilité d’illuminer la scène, proches du sujet, mais en même temps faisant de l’espace dramatique, un terreau de création.

Aronovitch/Dunkelman : un besoin
viscéral de se ressourcer
Crédit : Acts to Grind Theatre

David Gow opte intentionnellement pour la victoire de l’entente, de la possibilité de l’utopie, de cette volonté de croire tout simplement. Sa revendication est claire.

Il y a aussi le décor : quatre chaises d’une salle de consultation de prison, une table rectangulaire,  et une corbeille à papier. Les chaises sont remuées au besoin des situations. La confrontation assise ou debout rejoint ou divise les corps. La mise en scène est donc limpide, se passage sans maladresses, opte pour la linéarité.

Davyn Ryall s’est chargé lui-même de ce tour admirable de passe-passe, projetant par là-même la tentation pour tout créateur de se charger de tout. Ceci, sans en vouloir aux autres artisans de la scène, qui doivent elles et aux aussi faire connaître leurs savoir-faire.

Budget oblige, l’équipe de Acts to Grind Theatre évolue dans un espace neutre, clinique, froid, distant ; effectivement, une distance qui s’évapore à mesure que le drame se dévoile au grand jour et que les conséquences après le procès seront irréversibles.

Finalement…

Une œuvre audacieuse qui rattrape les vieux démons. Un sujet toujours actuel puisque le racisme ordinaire est devenu monnaie courante et que l’antisémitisme est encore le premier « isme » dans le monde. Et de plus en plus exprimé alors que les gouvernements de droite profitent de la visibilité accrue d’un populisme conquérant.
Mais qui a dit que la « gauche » aussi n’est pas antisémite?

Dommage pour la petite musique finale, ne faisant que trop appuyer un message déjà trop évident. Outre, malgré quelques hésitations sur le plan de l’interprétation dans une première partie, la seconde donne aux comédiens la possibilité d’illuminer la scène, proches du sujet, mais en même temps faisant de l’espace dramatique, un terreau de création.

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
David Gow

Mise en scène
Davyn Ryall

Interprétation
Michael Aronovitch (Danny Dunkelman)
Bryan Libero (Michael Downey)

Éclairages
Davyn Ryall

Décor
Davyn Ryall

Costumes
Davyn Ryall

Production
Acts to Grind Theatre

Durée
1 h 40 min

[ Incluant Entracte ]

Classement
Interdit aux moins de 16 ans

 Diffusion & Billets @
MainLine Theatre
Jusqu’au 09 octobre 2022

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]