Ciseaux
Fusions
d’appartenance
texte
Élie Castiel
CRITIQUE.
[ Scène ]
★★★ ½
Elles assument leur lesbianisme avec tout le naturel du monde. Bien plus, elles construisent un univers non pas parallèle, mais incrusté dans la multitude sociale. Revendications, actes subversifs, humour corrosif, retour à l’Histoire LGBTQ+, nouveau vocabulaire utilisé par les nouvelles générations : de LGBT, on passe à queer – en anglais, le mot veut dire « bizarre, étrange et autres succédanés, ou encore ersatz pour les intellos ». À un moment, il y a longtemps, mais pas si longtemps que ça, il constituait une insulte émanant des hétéros anglophones souffrant encore d’un manque de reconnaissance de la diversité sociale et sexuelle. Ensuite, une réappropriation du « terme » par la mouvance homosexuelle. Le tour est joué. Le vrai sens, l’original de queer a changé rapidement de terrain social.
Queer ou l’altérité, queer ou s’exprimer différemment tout en reconnaissant que tous les êtres humains partagent les mêmes sentiments. Gai, lesbienne, trans, qu’importe : queer définit toutes ces différences.
Ciseaux expose ainsi un cours de sexologie, particulièrement destiné aux nouvelles générations de lesbiennes. Recours à des archives (en formats vidéo dont la qualité (en grains) de la pellicule procure, chez certaines et certains, une nostalgie sidérante, particulièrement chez celles et ceux de tous ces combats, manifestations et autres actes subversifs contre une « police » militarisée des années de contestations où tout paraissait possible.
Derrière leur humour inévitable (sans quoi Ciseaux aurait été trop dur à avaler), drôle, railleur, Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau reproduisent les grands moments du centre-ville gai/lesbien de la métropole – cartes de la ville à l’appui. La salle, remplie à craquer réagit, se reconnaît dans cette ambiance survoltée où tous les coups sont permis, toutes les accusations sont les bienvenues.
Mais les artistes prennent toujours leurs distances avec la facilité du geste vulgaire. Déjà, le titre de la pièce est on ne peut plus persuasif, plus que symbolique, allant droit au but, même (plus que) suggéré dans une séquence ou les deux pairs de ciseaux se rassemblent, disons, amoureusement. Plus clair que ça, tu meurs. Mais dans ce geste anodin, un cri de désespoir, une affirmation de soi, une réappropriation de sa physicalité.
On a recours aux marionnettes, aux jeux d’enfants, aux décors kitchs, à tous ces accoutrements qui réchauffent le cœur et l’esprit. C’est festif (comme le programme l’indique), libérateur, mais surtout constitue un cri de révolte face à une société qui, malgré les apparences, est encore, en (grande) partie, homophobe et lesbophobe.
Entre l’espace dramatique de l’Espace Libre, terrain de prédilection propice au théâtre de la diversité (il y en a d’autres, bien sûr, à Montréal, mais pas autant) et l’espace-auditoire, une sorte de fusion qui ne cesse de croître à chaque nouvelle intervention. Au tombée du rideau (simple expression, puisqu’il n’y a pas de rideau), une partie de la foule se dirige vers la scène pour remercier les deux performeuses. Expérience bouleversante alors que les barrières entre le spectacle et la réalité se brisent soudainement. L’art entre dans la vie.
Ça parle québécois, ça parle franco-français, ça parle anglais. Des personnages d’un autre siècle (comme le maire Jean Drapeau – moment époustouflant) reviennent sur terre pour nous rappeler que le combat n’a pas été drôle… à cause de lui et sa maudite moralité.
Les représentantes et représentants des millénariaux s’investissent totalement dans ce spectacle (formant le plus grand groupe dans l’assistance); sans doute qu’ils apprennent avec une certaine mélancolie teintée de douce tristesse ce que leurs aîné(es) ont vécu.
Ciseaux est un point de vue féministe sur la question, c’est important de le mentionner, car le regard féminin est différent du masculin. Il comporte un humanisme dont, parfois, les hommes sont détachés (même ceux de la communauté gaie). Des voix lesbiennes importantes se font entendre par le biais de cassettes (vieille méthode toujours efficace) – Parmi elles, Nicole Brossard, Safia Nolin, Edith Butler et autres icônes.
Mais plus que tout, l’Histoire sociale québécoise (notamment montréalaise) a très peu parlé des lesbiennes contrairement à leurs confrères-hommes, eux, plus livrés à des batailles de rue. Si à un certain moment, dans les 60 ou 70, certaines féministes ont, on peut se rappeler, rejeter le côté lesbien de leur discours, Ciseaux tente de réparer ce faux pas.
On a recours aux marionnettes, aux jeux d’enfants, aux décors kitchs, à tous ces accoutrements qui réchauffent le cœur et l’esprit. C’est festif (comme le programme l’indique), libérateur, mais surtout constitue un cri de révolte face à une société qui, malgré les apparences, est encore, en (grande) partie, homophobe et lesbophobe – mais on ne l’assume pas, c’est dans la pensée intime. Car toutes ces lois et décrets pro-LGBTQ+ émanent des hautes instances gouvernementales – publicité? Montrer aux autres pays notre ouverture d’esprit? Pouvoir d’achat rose? Le peuple, lui, est encore, en grande partie, conservateur, même si les choses ont quand même changé. Ce qui, en privé, se dit encore dans les chaumières, c’est tout autre chose.
ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Création & Mise en scène
Pleurer Dans ’Douche
Assistance à la mise en scène
Geneviève Gagné
Interprétation
Geneviève Labelle
Mélodie Noël Rousseau
Vidéo & Mapping
Joy Boissière
Kimura Byol
Scénographie
Jeanne Dupré
Costumes
Angela Rassenti
Éclairages
Joëlle LeBlanc
Son
Marie-Frédérique Gravel
Musique
Calamine
Durée
1 h 40 min
[ Sans entracte ]
Public
Interdit aux moins de 13 ans
Diffusion & Billets
@ Espace Libre
Jusqu’au 03 décembre 2022
[ Tout affiche COMPLET, mais essayer directement
avec Espace Libre pour possibles supplémentaires. ]
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]