Gas Bar Blues

CRITIQUE.
[ Scène ]

★★★★

1989

le monde

a changé

texte
Élie Castiel

La libre adaptation du film de Louis Bélanger, sorti il y 20 ans, qui marquait une sorte de renouveau dans le cinéma québécois, est ici au service autant du théâtre que des images en mouvement. Tout est dans la mise en scène d’Édith Patenaude, baignant totalement dans un récit qui semble lui avoir donné une forte inspiration, adaptée aux temps présents.

Si le récit aborde une manière de vivre dans un certain Québec régional qui perd ses repères hérités des générations précédentes, force est de souligner qu’entre le regard nostalgique et l’attrait du renouveau, en quelque sorte, du progrès contre lequel on n’y peut rien, autant l’écriture de Laurin (et de Bélanger, ici et dans le film) et la mise en contexte(s) de Patenaude invente un univers théâtral qui possède certains éléments du cinéma.

C’est dans l’air que les personnages respirent, dans les échanges, les changements de décors, toujours les mêmes, comme plongés dans une sorte de léthargie que repoussent, les jeunes – le fils de François, qui cite Depardon et son San Clemente (on saura pourquoi – mais un possible alter ego de Bélanger pour qui ses souvenirs de jeunesse comptent pour beaucoup) et la jeune de la famille qui veut poursuivre le travail du père en innovant – la femme conquiert l’espace social.

Un univers doux, docile et chaleureux en voie de disparition.

Dans cette station-service où la socialisation prend plus de place que le service lui-même, le temps semble s’être arrêté et ne jaillit une révolte interne dans la famille, quoique amadouée, que lorsqu’on apprend que le Mur de Berlin est tombé, donnant lieu à une prise de conscience aussi poignante que démesurée. Soudain, le monde a changé.

Martin Drainville, puissant, d’une présence taciturne incroyable due à la maladie, probablement progressive, qui l’affaiblit, sa détermination à assurer une certaine sécurité, à l’ancienne, pour ses enfants, toutes ces énergies que nécessite le comédien pour assumer et rendre crédible son personnage, deviennent comme par magie un jeu d’enfant. Il conquiert la scène.

La présence des acteurs-trices musiciens-nes ajoute un sorte de parenthèse entre l’ancien et le nouveau monde, un échange musical plutôt que dialogué, un pas de plus vers le progrès et ces petits et grands mots qui affichent l’importance d’une jeunesse montante. Le retour en arrière n’est plus une option puisque qu’elles que soient les époques, il ne l’a jamais été.

Rassembleuse, conciliante, juste ce qu’il faut de dramatique, totalement transportée par ses personnages, Gaz Bar Blues, la pièce, demeure un moment fort de la dramaturgie québécoise de 2023.

La station-service affiche « Gaz Bar », le mot « Blues » ne sera paraîtra jamais– Le blues dont il question, le cafard, la nostalgie, la mélancolie qui habite ce lieu presque hors du monde, ce spleen fort aux poètes, baigne tout au long de la pièce.

Rassembleuse, conciliante, juste ce qu’il faut de dramatique, totalement transportée par ses personnages, Gaz Bar Blues, la pièce, demeure un moment fort de la dramaturgie québécoise de 2023. Et nous ne sommes qu’au début de l’année.

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION

GAS BAR BLUES

Adaptation théâtrale
David Laurin

D’après le film éponyme de Louis Bélanger

Mise en scène
Édith Patenaude

Assistance à la mise en scène
Chloé Ekker
Interprètes
Bertrand Alain, Myriam Amrouche

Claude Despins, Martin Drainville
Francis La Haye, Frédéric Lemay
Hubert Lemire, Steven Lee Potvin
Jean-François Poulin

Décor
Patrice Charbonneau-Brunelle
Costumes
Julie Lévesque
Éclairages

Jean-François Labé
Musique
Mathieu Désy

Production
DUCEPPE
En coproduction avec La Bordée

 

Durée
2 h

[ Sans entracte ]

Diffusion & Billets
@ Duceppe
Jusqu’au 18 février 2023

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon.★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]