Le rêveur dans son bain
@ Théâtre du Nouveau Monde

CRITIQUE.
[ Scène ]

★★★★ ½

texte
Élie Castiel

Un

tour de force

magistral

De deux choses l’une : soit qu’on adhère totalement à l’univers fantasmagorique créé par l’imaginaire de Hugo Bélanger, entre pudeur et sophistication, et l’implication enthousiaste des comédiens, ou au contraire, avoir des réserves au point de ne pas se laisser convaincre par un récit qui repose sur peu, du moins en apparence.

J’ose abdiquer face au premier choix. L’inventivité de la démarche dans Le rêveur dans son bain opère comme ça avait été le cas dans l’exemplaire Le tour du monde en 80 jours, au même TNM il y a quelque temps. Sillonner le terrain de l’imaginaire, sans avoir recours à un parcours psychologique et existentiel des personnages (même si ce n’est pas totalement le cas) peut parfois être salutaire. Même le plus « rationnel » des spectateurs (et des critiques) peut se laisser séduire par l’engouement du créateur dont une des devises est de contenir l’auditoire en constante euphorie. Véritables tours de prestidigitation, projections vidéo, dessins en formes de BD qui s’incrustent quasi littéralement et viscéralement à l’intérieur des personnages, formant ainsi des mises en abyme (de plus en plus utilisées dans les spectacles sur scène) où les protagonistes semblent vivre de doubles réalités.

Une ondine (Wu-Maheux) qui prend forme humaine et Octave (René)
Crédit : @ Yves Renaud

Un monde sensationnel d’illusions de création primitive, naïve, comme lors de la création du cinéma. Méliès, Robert-Houdin et, plus tard, en Amérique, son imitateur Houdini, Alice Guy-Blaché et d’autres inventeurs de cette fin de siècle et début de l’autre sont convoqués, mis en scène par des comédiens prestigieux en parfaite harmonie avec les personnages qu’ils/elles incarnent. Ou soit dans ces extraits vidéos qui s’incrustent allègrement dans la mise en scène.

Ce qui est surprenant, c’est la facilité avec laquelle Bélanger revendique le droit de revoir les codes établis de la mise en scène, devenant comme par miracle, un mélange de « genres », comme c’est bien le cas au cinéma depuis, plus ou moins ses débuts. Ne pas se laisser chargé par les conventions linéaires, ces récits horizontaux qui étonnent par leur rationalité.

Tout bonnement, une œuvre phare dans le corpus de Hugo Bélanger. Humain, inventeur d’un monde qui, en fin de compte, présente des personnages qui ont possiblement créer, mais que le siècle a beaucoup ou un peu oublié. Comme le rappelle si bien le rêveur dans la baignoire, quelque chose comme « et de moi, qui se souviendra? »

Un homme qui cherche sa voie, assis dans un bain, tout vêtu, imaginant sa vie passé, ses erreurs (peu selon lui), mais surtout les manifestions de son imagination. Très peu comme récit, mais dans le même temps donnant l’occasion au metteur en scène de se substituer à lui – encore une mise en abyme entre le « rêveur » et le « faiseur d’images et de situations ».

Si on saisit les bienfaits de cette étrange et fabuleuse adéquation, Le rêveur dans son bain est un cas à part dans les annales de la scène théâtrale québécoise. Quelle façon originale de clore la saison-TNM!

Et lorsque les participants étonnent par leur infatuation non par envers eux-mêmes, mais face aux personnages qu’ils vivent de près, le spectateur ne peut que céder au goût de se laisser emporter par l’univers proposé.

Entre « rêve » (D’amour) et
« réalité » (Larcelle-Bourdon)
Crédit : @ Yves Renaud

Normand D’Amour est avant tout un homme de scène, comme s’il y était quotidiennement impliqué. Aucun doute ne l’arrête. Ici, son personnage de « contemplateur » de chimères et d’autres abstractions, souvent philosophiques, lui donne l’occasion d’aiguiser encore plus son art.

Et les autres : Winsor McCay où un Carl Béchand réclame le travail accompli par l’artiste; le Méliès de Éloi Cousineau, plus vrai que nature (pour ne pas tomber dans le cliché); Robert Houdin, tel que performé par Carl Poliquin nous ramène au temps des foires d’antan alors que découvertes et spectacle vont de pair allègrement.

Et comment ne pas se laisser séduire par le personnage d’Octave, que Sébastien René vit avec une sensibilité sans borne – quelle diction, quelle présence, quelle innocence en voie de perdition. Et le fils, là où Renaud Lacelle-Bourdon propose le seul personnage de « vraie » fiction, celle émanant du réel, causant chez le spectateur une sorte de rupture avec le monde imaginaire, qui très vite, comme par miracle, reprend ses droits.

Et puis l’ondine, la sirène des mers que Cynthia Wu-Maheux rend aussi vulnérable que courageuse, aussi méticuleuse que rêveuse, mais soudain mère qui… alors que le drame s’installe.

Soulignons aussi le travail de Marie-Ève Trudel, en Hannah Höch et Elsa von Freytag(-Loringhoven), les oubliées d’un siècle férocement patriarcale. Et pour l’occasion, dadaïsme, impressionnisme, mais surtout expressionisme s’impriment sur scène. Bélanger ouvre la discussion entre divers courants de la peinture et la pièce qui se joue sur scène (et sur écran improvisé) et où le siècle qui s’annonce sera celui de « l’image » Comme celui, actuel, inquiétant et peut-être annihilant de l’IA, dont on parle de plus en plus souvent.

Tout bonnement, une œuvre phare dans le corpus de Hugo Bélanger. Humain, inventeur d’un monde qui, en fin de compte, présente des personnages qui ont possiblement créer, mais que le siècle a beaucoup ou un peu oublié. Comme le rappelle si bien le rêveur dans la baignoire, quelque chose comme « et de moi, qui se souviendra? »

Déchirante, éprouvante déclaration qui pourrait s’appliquer peu importe le domaine. Mais dans celui de l’art, les réalisateurs, les chorégraphes, les chanteurs et chanteuses de l’art lyrique, les réalisateurs, les acteurs et les actrices… et pourquoi pas, en toute humilité, les critiques.

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Création & Mise en scène
Hugo Bélanger

Conseiller dramaturgique
Pierre Yves Lemieux
Assistance à la mise en scène
Stéphanie Raymond

Interprètes
Carl Béchard, Éloi Cousineau
Normand D’Amour, Renaud Lacelle-Bourdon
Carl Poliquin, Sébastien René
Marie-Ève Trudel, Cythia Wu-Maheux

Décors
Jonas Veroff Bouchard
Costumes
Marie Chantale Vaillancourt
Lumières
Luc Prairie
Musique & Son
Ludovic Bonnier

Concept Vidéo
Thomas Payette
Mirari Studio

Durée
1 h 45 min
[Sans entracte ]

 

Diffusion & Billets @
TNM
Jusqu’au 27 mai 2023

Auditoire (suggéré)
Tout public

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon.★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]