Le projet Riopelle
@ Duceppe

CRITIQUE.
[ Scène ]

★★★★

texte
Élie Castiel

De

l’ombre

à

la lumière

 

Si dans le milieu de la culture, les Grecs fêtent le 100e anniversaire de la naissance de Maria Callas, au Québec, c’est sur l’incontournable Jean-Paul Riopelle que les regards se posent pour ce centenaire.

Le projet Riopelle, titre on ne peut plus ambigu pour la plupart. En somme, la pièce la plus attendue de la saison théâtrale québécoise. Plus que jeu, un tableau en format tryptique, comme dans certaines icônes byzantines, et là s’arrête l’analogie. Riopelle ou l’éclatement d’une liberté, la mise en action de l’irrévérence, la hardiesse contre certaines institutions. Un mouvement contre le liberticide institutionnalisé.

Et comme on peut s’y attendre, un rapport intellectuel à l’Hexagone où éclatent les années du dadaïsme triomphant et autres formules picturales qui, finalement, représentent en quelque sorte les points forts du 20e siècle.

Atteindre un certain universalisme.
Crédit : @ Danny Taillon

Au Canada français (ce n’est pas encore le Québec), un désir avoué, même si compromettant parfois, parmi les représentants de la mouvance culturelle; non pas pour déstabiliser la peinture traditionnelle, mais la dépoussiérer, mais plus que cela, lui insuffler des abstractions, des métaphores nécessaires, essentielles puisque les artistes de ce moment voient la vie ainsi.

On verra Breton, le controversé américain Jackson Pollock, le Catalan Joan Miró. Pourquoi les nommer tous et toutes? À vous de les découvrir au cours de ces plus de quatre heures étonnantes.

Car Le projet Riopelle, comme le titre l’indique, est avant tout une mise en perspective pictural d’une époque, une percée dans la dynamique intellectuelle canadienne-française, dans son rapport à l’étranger, notamment la France et les États-Unis. Des mises en abyme entre la peinture et la vie.

Et au berceau de toute cette histoire, Paul-Émile Borduas et l’éclosion de son fameux manifeste, le Refus global, que signent, entre autres, l’écorché Gauvreau (une des plus beaux monologues de la pièce), Françoise Sullivan et Fernand Leduc.

Robert Lepage signe cet amoncellement disparate de petits sketchs de quelques minutes pour mettre en scène les personnages d’une vie, les sentiments amoureux, les différences irréconciliables; et quelques extraordinaires moments de haute voltige qu’on vous laisse le soin de repérer. Sauf ceux qu’on a envie d’exposer, ceux produits par ces bords de mer plus vrais que nature et que seul ce metteur en scène peut se permettre de reproduire.

Entre rêve et illusion.
Crédit : @ Danny Taillon

Si les dialogues d’Olivier Kemeid augurent quelque chose de nouveau dans la dramaturgie québécoise, cette envie de ne pas trop suivre les règles déjà établies et, au contraire, s’ouvrir à d’autres, on constate, après avoir bien observé, qu’ils s’inscrivent adroitement dans la mise en scène intentionnellement et jouissivement chaotique (dans le sens positif du terme) du grand metteur en scène.

Pot-pourri de saynètes diront certains, coups d’éclats intempestives clameront les autres. Mais ce Projet Riopelle est surtout l’aventure chronologique d’une nouvelle pensée artistique qui s’installe dans le domaine de la peinture.

Et entre chaque tableau, quel que soit l’artiste, une vie privée, une histoire d’amours capricieuses, des liaisons passagères, mais toutes menant au but ultime de la création.

Et des interprètes fabuleux, comme l’essentielle Anne-Marie Cadieux (que dire de plus), Violette Chauveau, de plus en plus présente dans la scène québécoise, et les Richard Fréchette de ce monde.

Signalons que Gabriel Lemire incarne un Riopelle jeune électrisant. Et que Luc Picard renferme toute la quintessence que représente le jeu du comédien.

Une entrevue tirée du « Le sel de la semaine », où le journaliste Fernand Séguin reçoit Riopelle à Radio-Canada, chaîne beaucoup plus intéressante qu’elle ne l’est qu’aujourd’hui – dommage que l’extrait ne diffuse pas les questions les plus pertinentes, mais bon!

Et ce fameux hommage à Rosa Luxembourg, et qui ne se manifeste que dans une finale d’une beauté déchirante.

Des moments qui désorientent, d’autres prouvant que l’art de création est indispensable à la survie de l’espèce. Et en toute humilité, le tour de force d’un grand artiste « universel » qui n’a pas encore dit son dernier mot.

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte – Conception
& Mise en scène
Robert Lepage

Assistance à la mise en scène
Ariane Sauvé
Coauteur – Conception &
Direction de création
Steve Blanchet

Dialogues
Olivier Kemeid

Interprètes
Anne-Marie Cadieux, Violette Chauveau
Richard Fréchette, Gabriel Lemire
Étienne Lou, Noémie O’Farrell
Luc Picard, Andrée Southière
Philippe Thibault-Denis

Costumes
Virginie Leclerc
Lumières
Lucie Bazzo
Musique
Laurier Rajotte
Images
Félix Fradet-Fraguy

 

Chorégraphies
Jeffrey Hall

Durée
4 h 30 min

[ Incluant 2 entractes ]

Diffusion & Billets @
Duceppe
Jusqu’au 11 juin 2023

Auditoire (suggéré)
Tout public
[ Déconseillé aux jeunes enfants ]

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon.★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]