Toronto Jewish Film Festival.
@ 2023
ÉVÈNEMENT.
[ En présentiel & En ligne ]
texte
Élie Castiel*
À une époque où un peu partout, y compris notre beau pays, l’antisémitisme progresse chez une partie, heureusement restreinte, non pour le moins inquiétante, de la population, nous avons voulu tâter le terrain du TJFF, le 31e cette année, question de sentir le pouls de l’état des lieux de la présence juive, ne serait-ce qu’en Occident.
Identités
sous
influence
Il ne s’agit pas, pour nous, de faire des « critiques » des films que nous avons pu visionner, mais de les situer en perspective, à l’intérieur de la dynamique sociale, de voir comment l’identité « juive » s’assume, s’intègre, s’assimile ou non à l’intérieur d’une majorité autre.
Nous évoquerons aussi Israël par le biais d’un drame, Tel Aviv/Beirut, de la franco-israélienne Michale Boganim, de parents aux origines, en partie, ukrainienne. On n’a qu’à voir sa filmographie – La terre outragée (2012), se passant à Pripiat, en Ukraine, pas loin de Tchernobyl, Odessa… Odessa! (2005). Tout est dit déjà dans le titre. Mais aussi, Mizrahim : Les oubliés de la terre promise 2021), une tangente documentaire sur une autre identité juive.

Tel Aviv/Beirut
Dans le cas de Tel Aviv/Beirut, deux côtés de la présence israélienne dans le premier conflit avec le Liban. Dans cette guerre, Israël compte sur les factions chrétiennes, majoritairement opposées au Hezbollah. Pour les Israéliens, s’opposer à toute morale humaniste, comme c’est souvent le cas dans plusieurs guerres? Manipuler les situations qui s’avèrent favorables dans ce premier conflit avec ce pays voisin? En tirer des leçons pour de futurs discordes? Toujours est-il que par le biais de destins parallèles de femmes, l’une israélienne, l’autre libanaise, de confession chrétienne, l’autre juive israélienne, Boganim oppose deux façons de voir le monde, la politique, la justice, le droit à une reconnaissance; elle s’organise aussi pour que des efforts soient faits des deux côtés afin que la raison gagne sur la logique implacable et déshumanisante de la guerre. De l’Hexagone, deux films d’animation où bien sûr, le retour à la Shoah essaie de contenir l’émotion, justement par le genre utilisé; tout d’abord, la très habile réalisation de Florence Miailhe dans La traversée (voir ici)*.

Les secrets de mon père
Mais aussi tel que conçu par la Française Véra Belmont, plus connue comme productrice, et signataire de quelques longs métrages. Intéressée par le bédéiste israélien Michel Kichka, la cinéaste signe un film où la judaïcité (ça se passe en Belgique dans les années 60), se glisse dans l’ensemble social, a recours parfois à des chemins de traverse pour s’intégrer totalement et « se faire accepter », mais plus que tout, de la part des adultes, garder des secrets d’une autre époque aux enfants d’aujourd’hui. Non pas d’un père, renier le passé, aussi tragique soit-il, surtout pour se protéger soi-même, pour mieux envisager la vie aujourd’hui, et protéger les enfants d’une histoire traumatique. C’est ce que constitue Les secrets de mon père (My Father’s Secrets).

Du TGM au TGV
Dans son documentaire Du TGM au TGV (From TGM to TGV), Ruggero Gabbai relate l’exode des Juifs tunisiens aux alentours des années 60, la plupart ayant rejoint la France. C’est le cas des communautés juives maghrébines, à l’époque totalement intégrées dans les pays en question (Algérie, Maroc, Tunisie). Comme le plus souvent dans ces cas, la nostalgie, la mélancolie, le passé d’une époque (faussement) bénie se projettent dans un présent difficile à définir. Le film, constitué principalement de « têtes parlantes » n’en révèle pas moins quelques moments édifiants, mais aussi les paradoxes, les contraintes, les velléités de fausses promesses, tous ces actes de bonne ou de mauvaise volonté propre à l’ADN d’une bonne partie de ces populations.

Reste un peu
C’est ce qui explique sans doute le Cas « Gad Elmaleh ». Juif séfarade, humoriste, acteur (d’ailleurs, très bon). Il a voulu se convertir au catholicisme, a décidé un peu tard à le dire à ses parents; soudain, il s’est senti coupable d’avoir renoncer aux préceptes de se ancêtres, et a décidé de faire un film pour extrapoler les dessous de cette histoire, certes pas banale, mais qui aurait nécessité beaucoup moins « d’estime de soi » et d’apitoiement. Reste un peu (Stay With US), un titre au double sens; d’une part celle venant de la part de ses parents (ses vrais dans le film, une sorte de mise en abyme familiale) qui lui demande de rester chez eux – et non pas à l’hôtel, et, éventuellement, de ne pas renoncer à ‘sa’ religion. Clichés? Obsessions du religieux, toutes fois confondues? Bizutage ou mieux encore, auto-initiation imposée? Intentionnellement, Elmaleh (et c’est là où il mérite une certaine reconnaissance), brouille les pistes, assume qu’il se trompe carrément (ou fait-il semblant?), place la judaïcité dans des chemins risqués, qui se remettent en question, qui « ose » s’assimiler totalement à l’autre et reconnaître qu’il y a peut-être du bon ailleurs. Mais aussi, et surtout, qu’un bon placement publicitaire auto-géré peut être bénéfique pour la suite des choses, face à une carrière qui bat un peu de l’aile.

Les choses humaines
Disponible sur Crave, Les choses humaines (The Accusation), le très beau film d’Yvan Attal examine les conséquences d’un présumé viol, dont la victime est une jeune fille juive. Ici, la judaïcité de la présumée victime et celle de ses parents est mise à dure épreuve. On vous épargnera les détails, mais Attal semble connaître à fond la psychologie humaine car ses personnages encadre valeureusement, malgré leurs faux pas, leurs doutes, leur agressivité face à l’inconnu, cette envie de s’en sortir, quitte à renoncer à certains acquis.
Nous reviendrons sur Les enfants des autres (Other People’s Children), le très beau film de Rebecca Zlotowski. La judaïcité est ici respectée au privé (séquence du Choffar, à la synagogue), mais au social, l’intégration et l’assimilation aux préceptes laïcs de la République demeurent des principes de vie fondamentaux dans un Hexagone contemporain. La sortie à Montréal est prévue le vendredi 16 juin 2023.
* Luc Chaput pour La traversée.
Toronto Jewish Film Festival
Du 1er au 11 juin 2023