Les Sommets du cinéma d’animation – Festival international de Montréal 2019
ÉVÈNEMENT
Luc Chaput
UN AUTRE MONDE
Un homme grand et mature est trouvé par un plus jeune sur une plage voisine d’une forêt luxuriante. L’adulte est amené dans un muséum en désuétude où il est étudié par des scientifiques. Tous ces personnages du Voyage du prince sont des singes doués de la parole et qui ont des opinions arrêtées sur leur statut dans le monde et sur leur spécificité. Ce Voyage de Jean-François Laguionie et Xavier Picard était le film d’ouverture des 16e Sommets du cinéma d’animation tenus récemment à la Cinémathèque québécoise à Montréal. Cet évènement annuel nous permet par le biais de l’animation et de ses techniques multiples de découvrir ainsi d’autres mondes plus ou moins éloignés du nôtre.
Le Voyage reprend certains des thèmes et personnages du premier long métrage en 1999 de Laguionie, Le château des singes se déroulant en partie dans la canopée d’une forêt qui enserre et bouleverse la vie d’une métropole à l’orée du XXe siècle. L’animation de Picard et Laguionie, d’une belle facture, nous permet de voyager ainsi dans le temps et l’espace. Le scénario de Laguionie et Anik Le Ray situe l’action peu après la publication du livre majeur de Darwin sur les espèces en y créant une société rappelant quelque peu La planète des singes de Pierre Boule. La confrontation entre les membres d’une Académie des sciences empesée et le prince sûr de ses bons droits ramènera certains à la nouvelle de Kafka, Rapport à l’académie. Laguionie et Picard ont donc réussi un long métrage qui ouvrira des portes vers d’autres mondes et des questions sur la surconsommation et notre relation avec la nature et ce à la fois aux enfants et aux adultes.
Avec de plus son hommage senti à Richard Williams, grand de l’animation récemment décédé et pour la présentation de la version française du sublime Physique de la tristesse de Theodore Ushev, ces Sommets ont encore une fois démontré leur pertinence en offrant un éventail si riche des diverses avenues de l’image animée.
La compétition internationale était d’un niveau quasi élevé et le film gagnant L’heure de l’ours de la Française Agnès Patron, en couleurs sombres peintes parsemées de lueurs rouges ou blanches, concentrait en quelques minutes la révolte métaphorique d’enfants dans un village qui trouvaient dans des ours voisins de lourds et agiles alliés. Le Prix spécial du jury a été décerné comme de raison à Nuit chérie de la Belge Lia Bertels. Dans une palette de couleurs plus large que celle utilisée dans L’heure, deux animaux insomniaques dont un ours! osent un court et dangereux périple car ils doivent passer dans une forêt dominée par le cri d’un Yéti. L’entraide surmontera les difficultés et amènera au moins une découverte étonnante.
Dessiné sur du papier, le journal illustré qu’est Le Mal du siècle a permis à Catherine Lepage de remporter le Prix du public et une mention pour son illustration opposant voix et images de la marche risquée à l’hyperperformance. La rétrospective du Meilleur d’Annecy aura permis de découvrir le grand gagnant Mémorable du Français Bruno Collet, alliage de personnages en latex et de numérique pour une évocation prenante de l’évanescence de la mémoire causée par l’Alzheimer et ses effets sur le couple. L’étudiante tchèque Daria Kascheeva y a remporté le prix de la compétition étudiante pour son Daughter, où la technique des marionnettes chère à Jiri Trnka est embrigadée dans les décrets du Dogme 95 danois pour un portrait psychologique troublant.
Le Cristal du long métrage d’Annecy avait été décerné à J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin déjà gagnant du prix de la Semaine de la Critique à Cannes. Les liens organiques entre Annecy et La Cinémathèque ont permis la présentation à deux reprises de ce film acheté par Netflix. Le découpage, le changement de perspective, les retours en arrière incitent le spectateur à accepter cette histoire aux côtés fantastiques où une main recherche par rues, toits, caniveaux et autres lieux à retrouver le reste du corps dont elle a été sectionnée et avec qui elle a de si nombreux et variés souvenirs.
Avec de plus son hommage senti à Richard Williams, grand de l’animation récemment décédé et pour la présentation de la version française du sublime Physique de la tristesse de Theodore Ushev, ces Sommets ont encore une fois démontré leur pertinence en offrant un éventail si riche des diverses avenues de l’image animée.