De retour sur CINEMANIA 2019

ÉVÈNEMENT

De l’artifice et de ses feux

Luc Chaput

Un homme rencontre une femme plus jeune dans le café-restaurant La Belle époque sis dans un studio de cinéma. Il la revoit et, en passant sur un plateau, gifle Adolf Hitler avant de sortir enjoué. Victor a voulu revivre la journée où il a rencontré Marianne, sa femme depuis quarante ans. Il est acteur dans un remake de sa propre vie avec tout ce que cela peut comporter d’aléas et de changements.  Il est pourtant conscient de l’artifice de la situation mais il joue quand même le jeu car celui-ci en vaut la chandelle.

Curiosa

Nicolas Bedos revisite le film d’époque en l’alliant à la comédie romantique où le passage du temps a accompli ses effets. Certains partiront en vacances pour retrouver l’étincelle. Ici on recrée sur mesure un moment passé ou désiré. Bedos lorgne aussi du côté de Woody Allen entre autres Midnight in Paris ou le passage à travers l’écran de The Purple Rose of Cairo, mais sa mise en abyme successive avec le metteur en scène et son interprète chérie fonctionne avec bonheur. La sortie cette semaine de La belle époque ce film astucieux sur la représentation est donc l’occasion d’un retour sur le récent festival où il a été présenté pour la première fois à Montréal.

La Belle époque fait habituellement référence à celle avant la Première Guerre mondiale où Toulouse-Lautrec créait des affiches et croquait les danseuses de French Cancan pendant que la photographie devenait un art reconnu. La réalisatrice Lou Jeunet a découvert la correspondance de Maria de Heredia. Avec l’aide de sa coscénariste Raphaëlle Desplechin, elle nous donne dans Curiosa un aperçu de ses relations complexes avec son mari Henri de Régnier, ami de son amant le sulfureux Pierre Louys. Les chambres de bonne, les grands salons, les intérieurs bourgeois et la découverte charnelle de l’exotisme sont agencés pour redonner droit de cité à cette auteure plutôt oubliée.

Si Curiosa, avec les doubles vies de la haute société, lorgne du côté de Proust, Revenir de Jessica Palud se promène dans les régions plus proches de Giono et de son Regain dans un croquis d’un retour différent à la terre. Le changement de costume et d’apparence de Niels Schneider dans ces deux films où il a des rôles si dissemblables est étonnant et c’est là l’un des plaisirs de les remarquer si rapprochés dans un festival.

Être vivant et le savoir

L’affaire Suzanne Viguier a fait l’objet de nombreuses chroniques judiciaires en France durant la première décennie 2000. Antoine Raimbault l’a suivie et s’y est même impliqué. Il en tire une version où des personnages de fiction croisent des acteurs interprétant des personnes prises dans cet engrenage au long cours. Une intime conviction confirme s’il en est encore besoin l’immense talent d’Olivier Gourmet. Son avocat de la défense, Éric Dupond-Moretti, est à la fois tranchant sur certains points et roublard. On comprend à le voir que le véritable Dupond-Moretti soit surnommé l’Ogre du Nord. Marina Foïs est viscéralement Nora happée dans les anfractuosités de l’affaire. Cette œuvre de Raimbault réussit à être critique des actions de la police criminelle et à nous faire percevoir directement quel est le travail d’un procureur de la défense qui élague un dossier pour en sortir sa substantifique moëlle.

Le festival nous aura aussi permis de goûter au dernier film d’Alain Cavalier Être vivant et le savoir, documentaire très personnel sur sa longue amitié avec l’écrivaine Emmanuèle Bernheim, sur un film qui ne s’est malheureusement pas fait sur la mort dans la dignité mais aussi sur le passage du temps et sur une fin digne. Il reste donc à espérer que la Cinémathèque nous présente bientôt une large rétrospective de ce cinéaste encore vert à plus de 80 ans.

Une intime conviction