Festival du Nouveau
Cinéma 2023 > IV

Le règne animal

 

texte
Pascal Grenier

De

l’art

et

des

essais

La 52e édition du plus vieux festival de films au Canada s’est terminée le week-end dernier avec le film de clôture Le règne animal de Thomas Cailley (on vous en reparle plus longuement lors de sa sortie en salle, prochainement). Encore une fois cette année, les organisateurs proposaient un échantillon des nouvelles tendances dans le paysage cinématographique mondial. On a vu entre autres quelques films très attendus au cours des derniers jours de festivités.

N’attendez pas trop la fin du monde

De la Roumanie, deux films très attendus de deux pionniers en la matière qui partagent une inclination pour le réalisme et l’exploration des questions sociales et qui ont chacun laissé leur empreinte dans le cinéma contemporain de ce pays. D’une part, le provocateur Radu Jude (Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares / Îmi este indiferent daca în istorie vom intra ca barbari) revient avec un nouvel opus d’une durée épique (163 minutes), N’attendez pas trop de la fin du monde / Nu astepta prea mult de la sfârsitul lumi) où ce dernier démontre qu’il n’a rien perdu de son côté iconoclaste. Cette suite spirituelle à  Mauvaise baise ou porno barjo / Babardeala cu bucluc sau porno balamuc, sortie il y a deux ans, suit le parcours d’une assistante de production qui parcourt la ville de Bucarest pour la casting d’une publicité sur la sécurité au travail commandée par une multinationale. Jonchés de dialogues authentiques et de performances naturelles, Jude nous propose une nouvelle charge politique aussi féroce que drôle et acerbe. S’il y a bien un cinéaste dont on peut dire qu’il est ancré dans l’aire du temps, Jude est là pour nous le prouver. En utilisant l’influence des technologies pour appuyer son discours, sa mise en scène propose un cinéma polymorphe qui ne recule devant aucun excès, mais qui fait flèche de tout bois dans sa dénonciation de l’absurdité et l’ambiguïté de la société moderne actuelle.

MMX

Si le film de Jude est une réussite et une proposition originale en soi, on ne peut malheureusement en dire autant de MMXX de Cristi Puiu. En proposant quatre récits distincts qui reflètent un groupe d’âmes errantes coincées pendant la pandémie qui fait rage au début de la Covid, le réalisateur de La mort de Dante Lazarescu / Moartea domnului Lazarescu se révèle guère convaincant et ennuyant dans ce long métrage de deux heures quarante. Habituellement habile à explorer les aspects existentiels et philosophiques de la condition humaine, Puiu se met les pieds dans le plat avec ce film en forme d’omnibus où les circularités de son discours complotiste finissent par prendre le dessus sur des histoires qui forment un tout somme toute assez banal.

Du Japon, on attendait avec impatience le dernier film du vétéran et légendaire cinéaste indépendant Shin’ya Tsukamoto (Tetsuo).  Neuf ans après son remake du film de guerre classique Fires on the Plane / Nobi d’après le roman de Shohei Ôoka, ce dernier se replonge dans la période de la Seconde Guerre mondiale avec Shadow of Fire / Hokage. Tourné avec un budget des plus modestes, ce drame humaniste filmé à hauteur d’enfant prend bien son temps avant de convaincre. Si la première partie en forme de huis clos est un peu âpre et aride, le film prend son envol dans une seconde moitié nettement plus réussie où le cinéaste s’inspire à petitesse du classique Va et regarde / Idi i smotri réalisé pat Elem Klimov en 1985. Reconnu pour son style flamboyant et frénétique, Tsukamoto s’est beaucoup assagi avec les années. Bien que Shadow of Fire semble à priori déroger de ses thèmes de prédilection, on retrouve celui de la perte d’identité au coeur de l’intrigue et de la déshumanisation. Et le film révèle un jeune enfant étonnant sous les traits de Ouga Tsukao, criant de vérité dans ce film aussi bouleversant qu’audacieux.

Shadow of Fire

Cinéaste singulier dans le paysage du cinéma philippin, Khavn est un anarchiste et créateur fou qui ne cesse de produire à une vitesse effrénée. Avec plus de 50 films à son actif, le réalisateur avant-gardiste qui va célébrer ses 50 ans en décembre prochain continue son bonhomme de chemin avec une oeuvre audacieuse qui propose toujours des expériences cinématographiques uniques… à nos risques et périls. Avec National Anarchist: Lino Brocka, le réalisateur de Mondomanila propose un film collage où ce dernier rend hommage à sa façon bien à lui à Lino Brocka, le plus grand réalisateur de l’histoire de son pays. Avec des extraits de films, des séquences d’archives et des citations de Brocka qui relatent son parcours cinématographique et ses positions politiques comme activistes, Khavn propose un OFNI qui fonctionne à la fois comme un drame biographique, un documentaire et une oeuvre expérimentale originale.

Samsara

Enfin, on se doit de parler de l’expérience cinématographique unique de Samsara, de Lois Patino. Ce réalisateur espagnol est assez méconnu hors des sentiers des festivals de films. Avec Samsara, il nous plonge au Laos dans ce cycle de la mort et de la réincarnation, à l’intérieur de la religion bouddhiste dans son transit d’un corps à un autre. Une odyssée contemplative et poétique aux paysages magnifiques et aux images d’une beauté renversante au menu de cette oeuvre expérimentale qui témoigne d’une innovation et d’une profondeur conceptuelle singulière. Comme quoi on est encore capable de vivre des expériences nouvelles et sensorielles et que le cinéma est encore capable de renaître.