Image+Nation
2023 > II
| DOCUMENTAIRES |
Et si la Nature était,
par définition, Queer ?
texte
Élie Castiel
À en juger par les cinq documentaires que nous avons sélectionnés pour cette partie de notre couverture I+N 2023, il n’est pas surprenant qu’une idée de base se construit de plus en plus autour de l’identité LGBTQ++, une théorie selon laquelle les identités homosexuelles, se réappropriant le terme, jadis péjoratif, de Queer, signale cette dénomination non pas comme une simple arme de soulèvement, de droits égaux, de revendications, mais plus encore, comme preuve scientifique émanant des diverses approches intellectuelles de l’évolution de la nature, notamment animalière, en terme de comportements sexuels. En prenant pour acquis que l’Humain est aussi une espèce « animale », comme il est souvent évoqué dans milieu de la recherche sur le phénomène de l’Évolution, force est de souligner que l’orientation de l’activité sexuelle, jusqu’ici reléguée aux Écritures saintes dans diverses confessions, particulièrement monothéistes, se voit constamment remise en cause, parfois de façon virulente.
L’Humain, si on se fie aux commentaires des intervenants et intervenantes du passionnant Queerying nature (Belgique), d’Aline Magrez, à travers la forme traditionnelle des entrevues, est sujet à des interrogations fondamentales sur un rapport à l’autre jusque-là considéré majoritairement comme hors-norme. Si dans les sociétés occidentales, les choses ont changé, les bouleversements acquis ne peuvent paraître que pure « illusion ». La nature animale est, selon les experts rencontrés, très diverse en termes de sexualité. Un document passionnant qui ouvre la voie à de futures recherches sur la question. Édifiant.
Façon de parler, le documentaire de Magrez peut être vu comme l’emblème des autres films que nous avons eu l’occasion de visionner. Comme c’est le cas de l’émouvant long métrage Out of Uganda (Suisse), de Rolanda Colla et Josef Burri. Un des plus beau film interventionniste en matière de droits humain dans un Ouganda ravagée par une homophobie galopante, mais également portrait de quatre réfugiés qui revendiquent leur orientation, chacun à sa façon, dans la forme comme dans le comportement, prouvant jusqu’à quel point, à l’instar du monde animalier, les homosexualités « humaines » sont diverses et dispersées.
Même son de cloche avec l’illustre 1946: The Mistranslation That Shifted Culture (États-Unis) de Sharon Roggio. La cinéaste s’installe avec les intervenants, évoquant par là-même ces productions très 70’s où le traitement « guerrilla » revendiquait ses titres de noblesse. Des activistes gais et lesbiennes ont choisi de ne pas changer leur orientation, mais dans le même temps d’être acceptés sur une base égalitaire dans les multiples identités religieuses chrétiennes en Amérique. Arme à l’appui : la révision des écrits bibliques du Nouveau Testament.
Bizarrement, ce sont les propos d’un certain Steven Greenberg, rabbin et auteur, qui alimentent de façon presque concluante les passages de l’Ancien Testament relatifs à l’homosexualité. Une relecture brillante qui convaincra le plus convaincu des sceptiques.
Dans ce courant de pensée, le moyen métrage Day Dream (France), de Mael Cabaret. Le portrait de Julien, Drag Queen extraordinaire, est un objet rare qu’il faut se convaincre de visionner. Car à travers une phrase toute simple, quelque chose comme « je suis le produit de mes expériences, passées et actuelles » renferme la quintessence d’une homosexualité vécue autrement. Un personnage d’une humanité, autant comme Drag que dans la vie de tous les jours, alors qu’il occupe des travaux traditionnels.
La force de Cabaret et de se tenir constamment distancié de son sujet, lui donnant l’espace convenable et la parole autonome. Julien extériorise sa pensée, regrette certains passages de sa vie. Mais en fin de compte, souligne qu’il ne peut exister sans sa vocation. Troublant et dans le même temps, surprenant. Essentiellement, parcourant, comme nous l’avons mentionné déjà, ces diverses identités queer, au même titre que dans l’univers animalier qui, contrairement aux humains, ne se pose pas de questions d’ordre faussement éthique.
Et puis, Venus Envy: The House of Venus Story (Canada), de Michael Venus. Un groupe musical Drag qui allie humour, cabaret, entre le Crazy Horse de Paris et les cabarets traditionnels (version queer) des années 60, les plus expressives du 20e siècle. Le temps qui passe, les comportements qui soit, changent ou s’adaptent à l’air du temps. Venus, réalisateur et membre de ce groupe d’une autre époque qui surprend encore en raison de son nouveau concept « Wiggle » exigeant face à sa détermination de ne pas capituler. Certains membres ne sont plus de ce monde, mais Michael Venus, en représentant d’un âge révolu, soulignant le caractère nostalgique, mélancolique et émouvant du film, ose encore le délire d’un mode de vie, d’une tradition presque ancestrale du fragile équilibre de la représentation. Le groupe, créé à Vancouver, n’a rien à envier avec son pendant québécois.
Cinq documentaires bien programmés qui, dans un certain sens, se regroupent dans une espèce de réclamation à la fois sociale, sexuelle, politique et humaniste. N’est-elle pas également la mission d’Image+Nation?