Le misanthrope
@ TNM
CRITIQUE
[ S C È N E ]
Élie Castiel
★★★★
L’enfer,
c’est les autres
Serait-ce dû aux bouleversements qui agitent notre planète, de plus en plus irrésolue, toxique, belliqueuse, pour reproduire les classiques d’un autre siècle selon une vision actuelle des choses?
C’est dans cette perspective qu’on peut apprécier Le Misanthrope de Florent Siaud. Le metteur en scène incontournable s’éclate comme jamais auparavant, même si son Britannicus de bonne mémoire nous avait fait vibrer tout en maintenant une approche moins radicale que celle dont il est, ici, question.
Et c’est d’autant plus spectaculaire qu’il prend d’assaut la scène du TNM pour donner libre cours à son imagination, jamais aussi féconde. Il ne lésine pas sur les extravagances les plus inattendues, les personnages réincarnés dans des accoutrements moraux peu recommandables, les situations oscillant entre le mauvais goût et la préciosité.
Ses personnages s’imbibent d’une dose de totale liberté qui ne les empêche pas de suivre la cadence des alexandrins, car pour la langue, il faut rester pur aux vers de Molière, défendre la cause d’une des plus belles langues (enfin, la plus belle) du monde. Pardonnez ce chauvinisme!
Si pour Molière Alceste, c’est l’incompréhension des autres malgré leurs faiblesses, ici, « l’enfer c’est les autres ». L’Alceste de Siaud demeure l’incompris qui se bat pour la vérité. Il est surtout sincère, un des défaut de nos sociétés actuelles, un péché de lèse-majesté qu’on ne pardonne jamais.
Sur ce point, Francis Ducharme (bien entendu, Alceste) détrône les autres, sans pour autant les réduire à de simples apparitions. Il s’invite dans la scène du TNM et la colonise à sa guise. Un charme inébranlable, une authenticité des plus invulnérables, une audace sans retenue. Célimène, très versatile Alice Pascual, jouant les cartes de la séduction et des correspondances paradoxales avec une fermeté et un cynisme sans pareils. Ces deux personnages sont les « nerfs » de la guerre qui se joue entre le refus du superficiel et la liberté de mouvements, quitte à toujours mentir devant l’Éternel. Un monde sans pitié.
Le metteur en scène incontournable s’éclate comme jamais auparavant, même si son Britannicus de bonne mémoire nous avait fait vibrer tout en maintenant une approche moins radicale que celle dont il est, ici, question.
Aujourd’hui, dire haut et fort son opinion, c’est blasphémer, c’est transgresser « l’ordre des choses », c’est se bâtir des ennemis. Au théâtre, porter un regard critique sur la question est possible. Dans la vie de tous les jours, impossible. Nous serons à jamais maudits.
Le décor initial est de tout blanc vêtu. Il s’apparente à cette couleur d’apparence, illusoire, vierge, qui à mesure que les situations s’enveniment, cette apparence immaculée laisse apparaître des empreintes, des tâches de moisissure.
Puis, surtout, les fameux alexandrins, cette merveille de la langue française qui réduit l’expression en quelque chose de direct, provocateur, érudit, de véritables armes de combat, égales de part et d’autre, l’honneur relégué aux plus astucieux.
Force est cependant de souligner que Misanthrope fera le bonheur des uns et soulèvera le scepticisme des autres.
Le Misanthrope
de Molière
Mise en scène
Florent Siaud
Assistance à la mise en scène
Stéphanie Capistran-Lalonde
Interprètes
Alexandre Bergeron, Danny Boudreault
Francis Ducharme, Mathias Lefèvre
Mélodie Lupien, Iannicko N’Doua
Alice Pascual, Evelyne Rompré
Dominick Rustam, Mounia Zahzam
Décor
Romain Fabre
Éclairages
Nicolas Descôteaux
Costumes
Julie Charland
Musique
Vincent Legault
Vidéo
Gaspard Philippe
Durée
1 h 55 min
[ Sans entracte ]
Diffusion & Billets @
Théâtre du Nouveau Monde
Jusqu’au 11 février 2024
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]