Vues d’Afrique 2024

ÉVÈNEMENT
Cinéma|

texte
Luc Chaput

L’esprit

des lieux

De nombreuses personnes descendent les marches d’un grand escalier à plusieurs paliers dans la Casbah d’Alger. La caméra est environ à un coin de rue et le réalisateur Mohamed Latrèche relie rapidement cette séquence à une autre similaire de Tahya ya Didou (Alger insolite, 1971), seul long métrage en tant que réalisateur du comédien Mohamed Zinet. C’est  ce rapport avec l’esprit des lieux qui portait plusieurs longs métrages de l’édition anniversaire de ce festival montréalais.

Zinet, Alger, le bonheur

On connaît surtout Zinet comme acteur dans de nombreux films français des années 70 dont La vie devant soi. Il est maintenant quelque peu oublié. Dans le moyen métrage Zinet, Alger, le bonheur, Latrèche, mu par un désir d’organiser une projection d’une belle copie de cette unique œuvre, dans cette vieille partie d’Alger, reconnecte de diverses manières la vie de l’acteur avec ce lieu. La quête de Latrèche se situe sur de nombreuses années que le montage souligne par divers moyens. La caméra circule dans les rues, venelles et places d’Alger, glanant des informations, suscitant des rencontres inattendues et montrant le caractère ombilical entre Tahya et le quartier que le désir de modernisation a laissé un peu sur les bas-côtés. L’ancien directeur de la Cinémathèque algérienne Boudjemaâ Karèche, mémoire vivante de cette cinématographie, replace cet Alger insolite dans sa gestation, sa production et son impact et ainsi encadre les interventions de certains artisans de ce projet dont un inattendu. Ce portrait croisé d’un artiste, de son œuvre et de la cité qui l’a suscitée donne évidemment le goût de visionner Tahya dans une copie restaurée.

1964, Simityè Kamoken

Une réalisatrice québécoise d’origine haïtienne se rend à la frontière sud-est de son pays natal jouxtant la République dominicaine et découvre un massacre caché perpétré il y a maintenant 60 ans. 1964, Simityè Kamoken (1964, cimetière de Kamoken), de Rachèle Magloire revient sur cette tentative de guérilla menée alors contre le dictateur François Duvalier qui venait de se proclamer président à vie. Sur deux murs d’une officine de production, des photocopies, cartes, photos et autres documents sont épinglés reliées par des fils de couleurs diverses. Magloire tisse ainsi son récit, expliquant la création des Tonton Macoutes (VSN) et l’influence changeante des administrations américaines. Le montage passe, avec l’aide de la narration de la cinéaste, entre ce bureau et la poursuite de la vérité sur le terrain. Les visites des divers endroits de cette opération militaire récoltent des témoignages troublants de personnes ayant tout perdu et d’autres égrenant des bribes de réponses. La prison honnie de Fort Dimanche devient le point ultime de cette enquête qui fait office de devoir de mémoire dans cette contrée la culture de la violence armée apparaît encore plus prédominante aujourd’hui.

La mère de tous les mensonges

Dans le quartier de Sebata à Casablanca, une jeune cinéaste marocaine réunit sa famille et ses voisins pour tenter de comprendre l’absence quasi complète de photos de famille.  Mohamed, le père d’Asmae el Moudir, a construit une grande maquette du voisinage avec des intérieurs de certains immeubles qui sert de point d’ancrage à La mère de tous les mensonges (Kadib Abyad). La caméra de la réalisatrice se promène dans ce studio, épiant les réactions de Zahra la grand-mère, filmant Ouardia, sa mère, cousant des costumes pour les figurines que le père a aussi façonnées à l’image un peu rajeunie des interlocuteurs. Au détour des interactions et des questions plus pointues, la grand-mère, véritable garde-chiourme de la maison et qui admire le roi Hassan II, sera amenée à répondre de ses commandements au silence. La cinéaste, en incluant la disparition de leur voisine Fatima  le 20 juin  1981, dans ses recherches, relie les conflits familiaux plus ou moins larvés à la terrible répression de ces émeutes de la faim. Le témoignage de Saïd sur son arrestation et son séjour en prison, constitue, par sa charge émotive soutenue, un des points culminants de ce long métrage. La cinéaste, par cette mise en scène et en images quasi originale et très appropriée, redonne ainsi voix au chapitre à ses victimes directes et collatérales de ces années de répression.

Voilà quelques-uns de ces documentaires qui permettent de mieux comprendre le monde qui nous entoure et qui font l’honneur de cette 40e édition d’un festival toujours plus utile.