Va voir ailleurs : Essai sur les cinémas
du siècle nouveau, 2000-2022

 RECENSION
[ Cinéma ]
Pierre Pageau

★★★★

Comment apprendre

à mieux voir

le cinéma contemporain

     

Guillaume Lafleur est directeur de la diffusion et de la programmation et des publications de la Cinémathèque québécoise. À ce titre il doit surveiller et trouver ce qui se fait de mieux dans le cinéma contemporain et classique. Son dernier ouvrage, Va voir ailleurs nous démontre effectivement ses grandes capacités pour discerner ce qui se fait de mieux dans la production mondiale et il le fait avec un grand talent d’analyste.

Lafleur avait déjà publié deux ouvrages : Pratiques minoritaires : fragments d’une histoire méconnue du cinéma québécois 1937-1973), et il a codirigé XPQ : Traversée du cinéma expérimental québécois en 2020. Ce qui confirmait déjà son regard pointu sur des films, des auteurs, méconnus, en particulier sur le cinéma contemporain. En grand pédagogue, il continue son travail et s’emploie à faire reconnaître la valeur de ces œuvres trop souvent oubliées.

Le présent ouvrage a un titre un peu énigmatique. Mais, dans son introduction Lafleur précise les contours de ce titre en nous disant que son ouvrage a aussi comme but de défendre et faire connaître des films peu vus. Il dira : « La vie du cinéma existe en parallèle…. Se lovant parfois là où l’on disait qu’il n’y avait rien à voir ». Le sous-titre de l’ouvrage est aussi très explicite quant au corpus qui intéresse Lafleur. Ce corpus va inclure des cinéastes québécois comme Denis Côté, Anne Émond, Céline Baril et Philippe Lesage, mais aussi de grands noms de la cinématographie mondiale, tels Chantal Akerman, Claude Lanzmann, Nuri Bilge Ceylan, Manoel de Oliveira. Il faut lire, en particulier, sa défense du cinéma de Chantal Akerman, cinéma à la fois très autobiographique et très expérimental; ce chapitre, « Une femme seule », vaut le détour.

Kanehsatake, 270 ans de résistance

Idem pour le documentaire d’Alanis Obomsawin sur la lutte de la communauté de Kanesetaké contre un promoteur immobilier qui aurait utiliser une partie d’un cimetière de la communauté : Kanehsatake, 270 ans de résistance (1993). Nous sommes clairement en présence d’un film militant, pratiquement de propagande. Mais Guillaume Lafleur nous le présente sous l’angle de choix cinématographiques, ce qui a été très rarement le cas. La plupart des commentateurs et analystes n’ont vu que la dimension politique du film (qui, il va de soi, est bien présente). Encore ici son regard nous permet de voir autrement, d’une nouvelle façon, une sorte de « classique » de notre cinématographie.

Étant un grand admirateur, pour ne pas dire fan, du cinéma roumain son chapitre sur cette cinématographie m’a particulièrement intéressé. C’est au Festival de Cannes qu’année après année je découvrais les vertus, l’originalité, de cette cinématographie.

Avec des auteurs comme Christian Mungiu et sa Palme d’or pour 4 mois, 3 semaines, deux jours (2009). Lafleur ira aussi voir du côté d’un film à sketchs nommé Contes de l’âge d’or. De plus, dans sa volonté d’être un bon pédagogue, l’auteur fait toutes les références nécessaires au contexte socio-politique de la Roumanie. En tenant compte en particulier du rôle de Nicolae Ceausescu.

Dans sa postface il [Guillaume Lafleur] s’interroge sur la pérennité des copies de films. Une question qu’un employé d’une cinémathèque se pose. Ce qui fait alors qu’il faut « écrire sur les films qui se font pour les faire exister davantage » ; cela serait de plus en plus nécessaire. Et c’est bien à cette tâche que ce Directeur de la diffusion et de la programmation, et des publications de la Cinémathèque québécoise s’est employé, et avec brio.

Un film comme 12 h 08 à l’Est de Bucarest (2006) est tellement explicite de ce point de vue. Bref, cette cinématographie nous a donné des œuvres incroyablement pertinentes sur le plan social, mais aussi, et plus important sur le plan formel, La mort de Dante Lazarescu (2005), de Christi Puiu, un chef-d’œuvre.

Guillaume Lafleur le souligne bien et demeure donc fidèle à son regard de cinéphile exigeant. Il le fait aussi pour un film que j’ai beaucoup aimé, et peu retenu par la grande presse internationale, Policier Adjectif, de Corneliu Porumboiu (2009). Un film avec un scénario de base assez simple : un policier surveille un groupe de petits bandits; mais les règles policières l’empêchent de bien mener à terme son travail. Le tout est intercalé de longues scènes, souvent en caméra statique, de discussions avec sa femme ; et ceci aussi ne semble mener nulle part. Lafleur conclut ainsi, le tout « finit par mettre en place un fatalisme où domine l’irréversibilité ».

Dans sa postface, il s’interroge sur la pérennité des copies de films. Une question qu’un employé d’une cinémathèque se pose. Ce qui fait alors qu’il faut « écrire sur les films qui se font pour les faire exister davantage » ; cela serait de plus en plus nécessaire. Et c’est bien à cette tâche que ce Directeur de la diffusion et de la programmation, et des publications de la Cinémathèque québécoise s’est employé, et avec brio.

 

Guillaume Lafleur
Va voir ailleurs : Essai sur les
cinémas du siècle nouveau, 2000-2022

Montréal : Éditions Somme toute, 2024
176 pages
(Illustrations)
ISBN : 978-2-8979-4437-7 (2-8979-4437-4)
Prix suggéré : 25,95 $

ÉTOILES FILANTES
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