Courts nommés aux Oscars 2020
ANIMATIONS
DOCUMENTAIRES
&
FICTIONS
Depuis quelques semaines déjà, nous célébrons à notre façon, par le biais des mots et des images fixes ou en mouvement, ce nouveau site; et dans le même temps, question de prendre de bonnes habitudes, nous couvrons dès maintenant les courts métrages retenus aux Oscars. Une façon comme une autre de prendre le pouls de ce qui se fait dans un format de durée encore mal diffusée et qui mérite une attention particulière de la part des décideurs (distributeurs, exploitants).
ANIMATIONS
Luc Chaput
Riche éventail de relations
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Un petit chat errant retrouve sa cachette dans une arrière-cour. Un pitbull vient d’arriver. Une approche et des négociations de divers types se dérouleront entre ces deux animaux que rien ne semblait accorder. Ce charmant dessin animé Kitbull où les couleurs primaires jouent un grand rôle pour séparer les protagonistes de leurs environnements a été réalisé selon l’ancien système chez Pixar surtout connu pour ses innovations en images numériques, par une de ses employés Rosana Sullivan.
Une petite fille noire-américaine se prépare un matin à une sortie importante. Elle cherche un style de coiffure pour sculpter son exubérante toison. Avec l’aide de son père tout d’abord maladroit et des regards critiques de son chat, l’entreprise réussira contre toute attente dans ce court aux couleurs éclatantes, Hair Love réalisé par Matthew A. Cherry, Everett Downing et Bruce W. Smith.
Dans des noir, gris et blanc, vecteurs de souvenirs amplifiés par le cadrage photo, des personnages ressemblant à des poupées de tissus évoluent. La narration en mandarin accentue la distance avec cette famille aux deux enfants. Le frère aîné se remémore comment l’arrivée de cette nouvelle personne bouleversa sa vie. Sister (Mei mei) de Siqi Song est un concentré doux-amer de l’évolution de la famille en Chine dans les quarante dernières années.
Une jeune femme se rend à l’hôpital au chevet de son père malade. Un petit oiseau mort sur le rebord d’une fenêtre lui rappelle un incident de son enfance où une incompréhension entre les deux vit le jour et perdura. Des marionnettes à la tête en papier mâché et aux yeux expressifs déambulent, courent dans des décors très construits traqués par une vive caméra dans une ambiance sonore détaillée. Chaque séquence contient des perles d’invention dans daughter (Dcera), ce film de fin d’études à la célèbre école tchèque FAMU réalisé par la Russe Daria Kashcheeva. Il mérite tous les honneurs qu’il a jusqu’ici glanés.
Louis, un peintre éprouve des problèmes de mémoire de plus en plus évidents pour Michelle son épouse et qui se répercutent dans sa façon d’appréhender le monde et de travailler. Les personnages façonnés à la plasticine aux allures vanvogtiennes au début peuvent aussi avoir le visage torturé des œuvres de Francis Bacon. Les images numériques rendent perceptibles par le pointillé, les lignes ou les gouttes la déliquescence d’une de ces existences. L’interprétation d’André Wilms et de Dominique Reymond apporte un supplément d’âme à Mémorable, ce chef d’œuvre de Bruno Collet déjà gagnant de trois prix au grand festival d’Annecy. D’autres films tels le cascadant Hors-Piste complètent le programme qui ne contient malheureusement pas Physique de la tristesse du bulgaro-québécois Theodor Ushev qui faisait pourtant partie de la courte liste des possibles prétendants aux Oscars.
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DOCUMENTAIRES
Élie Castiel (ÉC) & Luc Chaput (LC)
Ce monde (im)parfait
Le 16 avril 2014, en mer Jaune, un traversier coréen le Sewol coule amenant 304 personnes dans sa perte. Ce court métrage troublant de Seung-Jun Yi montre l’incurie de la garde côtière de ce pays plus intéressée à protéger son image qu’à sauver des vies. L’équipe de production emploie des vidéos venant de téléphones cellulaires des étudiants coincés à bord, des images des caméras à bord des automobiles dans les cales du bateau et des prises de vue des hélicoptères survolant la scène. Des images d’une mer grise étale ponctuent ce récit dont la chronologie implacable est insérée sur l’écran.
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Le capitaine, contre les lois de la mer, quitte son navire alors qu’il aurait dû s’occuper encore et pour longtemps de ses passagers. D’autres inactions flagrantes sont mises au jour dans ce noir dossier qui amena une enquête publique aussi résumée. Ce naufrage fut un des causes secondaires de la destitution de la présidente Park Geun-hye. Pour sa prenante description des faits et son rappel des conditions post-traumatiques qui peuvent s’en suivre, Le coréo-américain In the Absence (Bujaeui gieok) mérite amplement l’Oscar du documentaire court de cette année. (LC)
De la Grande-Bretagne, Learning to Skateboard in a Warzone, quoique moyen métrage (39 minutes), se retrouve parmi les sujets courts. Bel exemple de film courageux, tourné dans un Afghanistan à la dérive, pour ne pas dire en quasi-désolation. Et là où les jeunes filles, des adolescentes, croient encore en leur destin. Sourires bienveillants, gestes de l’espoir. Ne pas céder à la débâcle. La planche à roulette comme exutoire gestuel à la dépression et au vide. Et les hommes, ils se battent comme si le conflit armé était source de vie. Avec ce touchant hommage à la femme à qui on interdit la parole, Carol Dysinger signe un vibrant quatrième documentaire où le mot d’ordre est résistance. Sans esprit de guérilla, c’est par l’éducation, le sens de la logique, la débrouillardise et le sens aigu de l’imagination que s’ouvre de possibles perspectives vers un Afghanistan ouvert et libéré. Du moins, faut-il le souhaiter. (ÉC)
Coproduction entre la Suisse et les États-Unis, Life Overtakes Me, également moyen métrage (distribué par Netflix) aborde le thème du Syndrome de résignation, autrement, une forme de catatonie qui affecte particulières les enfants et les adolescents psychologiquement traumatisés par des mauvaises expériences. Les familles dont il est question dans le documentaire de John Haptas et Kristine Samuelson navigue dans ces eaux troubles qui les mettent en péril de bifurquer dans le drame facile. Mais les divers parents dans le film doivent lutter un double combat, demeurer en Suède, sorte de nouvelle terre promise, et voir leur enfant revenir à la normale. Tout en évitant le pathos qu’on peut parfois associer à ce genre de production, la caméra demeure distante et proche à la fois, s’en tenant à la parole, loin de provoquer le larmoiement ou des poussées de pitié de la part des spectateurs. Un film noble, subtile, dont déjà seul le titre en dit assez sur la question. Des moments dramatiques, le plus souvent insupportables qui, du jour au lendemain, envahissent nos vies et malgré tout, une résilience autant d’Elles que d’Eux (les mères et les pères). Des forces de la nature, des gens de tous les jours qui se transforme sans qu’ils s’en aperçoivent en des héros du quotidien par le simple fait de résister. (ÉC)
Un homme visite avec deux de ses jeunes enfants le quartier de son enfance. Devant la maison où il vivait, il raconte la mort d’une balle perdue à 9 ans de son frère aîné Christopher Brown. Bruce Franks Jr. était un des porte-paroles importants en août 2014 à Ferguson au Missouri durant les manifestations Black Lives Matter à la suite du décès de Michael Brown sous les balles d’un policier. Dans St. Louis Superman (États-Unis), les coréalisateurs nord-américains d’origine indienne Smriti Mundhra et Sami Khan donnent un portrait complexe de ce rappeur et militant des droits humains, élu en 2016, représentant d’un district de St. Louis au parlement de son état. Son bagout et son entregent sont évidents dans ses interactions avec ses collègues députés ou lors d’une rencontre avec des ex-détenus. La petite caméra à l’épaule suit Bruce dans ses nombreux efforts législatifs ou autres pour faire en sorte que son fils King puisse connaître une vie meilleure parce que toute vie est importante. (LC)
Et de Laura Nix (États-Unis), le charmant Walk Run Cha-Cha, même si on se demande pourquoi il figure parmi les nommés. Les deux protagonistes, deux expatriés de la Corée du Sud suivent des cours de danse sociale. En quelque sorte, métaphore pour eux, de la réussite sociale et celle de couple en terre d’Amérique, apparemment lieu des toutes les libertés et de possibles réussites. Une caméra qui s’attache à eux, les surprend dans de brefs moments d’affection chorégraphique et mine de rien, leur donne (surtout à Elle) la parole. Des mots sincères, une profonde reconnaissance envers le pays d’adoption et surtout tous les deux conscients de la finitude incontournable de l’être. Tant que nous sommes encore en vie, pourquoi ne pas continuer à danser? Mais est-ce assez pour un Oscar. (ÉC)
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FICTIONS
Élie Castiel
La vie des autres
La belge Delphine Girard compose un film où le plan devient matière à suspense et transcende l’idée de mise en scène. Tout bien considéré, Une sœur (A Sister) aurait très bien pu être un long métrage. On aurait su davantage sur les raisons de ce qui se passe entre le couple dans l’auto, entre l’homme et la femme en question. Amis? Plutôt amants? Situation d’un soir où tout peut arriver? Acte d’agression? – du moins oui, en s’attachant à un flashback. Et puis le service d’aide aux agresseurs dont les champs/contrechamps intérieurs (intérieur de l’auto, sièges avant et un service téléphonique pour sinistrés de toutes sortes bien équipé) donne l’occasion à Juliette Van Dormael de parfaire sa direction photo, insistante, pointilleuse, rapprochée des protagonistes jusqu’à voir émerger chez les spectateurs un sentiment d’angoisse voulue. Un film au grand potentiel d’être oscarisé.
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Mais peut-être bien que les votants, ces individus privilégiés, vont préférer Brotherhood (Ikhwène) de la tuniso-canadienne, plus spécifiquement de la montréalaise Meryan Joobeur. Un regard sur l’intégrisme, sur le malaise que peut engendre la non-connaissance du vrai contexte musulman, des préceptes humanistes de la foi. Le film a fait couler beaucoup d’encre au Québec (notamment à Montréal), en liesse de retrouver une de ses citoyennes-réalisatrices dans la course aux Oscars. Pari gagné ou pas?
Mais déjà, le fait d’être nommé compte. Joobeur aime les comédiens et les cadre avec un souci du détail. Elle aborde aussi le thème du remord, du concept de la famille et de l’écart qui existe entre les hommes et les femmes en matière d’émotion dans une Tunisie machiste. La fin poignante, nous montre jusqu’à quel point Joobeur est remarquablement adroite dans la façon de traiter la tragédie humaine. La jeune réalisatrice juxtapose avec un soin bouleversant le naturel rocailleux de la Tunisie rurale et les sentiments mis en évidence dans une fiction aussi déroutante que resplendissante. Mais que même le soleil ne peut contribuer à changer. La nature humaine est le seul combattant.
De la Tunisie aussi, en coproduction avec la France cette fois-ci, Nefta Footbal Club, que nous avions visionné à Vues d’Afrique 2019. Comédie entre la métaphore sociale et politique, le film d’Yves Piat se savoure délicatement, principalement grâce à son humour maghrébin, imbattable – chanceux ceux et celles qui le possèdent – une vision de la vie qui tient de la constante débrouillardise. Mais plus que tout, une interprétation de jeunes comédiens (sont-ils professionnels? – je ne le pense pas) qui, face à la caméra, réalisent leurs rêves de devenir acteurs comme ceux qu’ils ont vu au cinéma ou dans les écrans télés. Et puis une fin d’un cynisme assassin qui permet à l’enfance de reprendre ses droits.
Encore des États-Unis, Bryan Buckley filme l’angoisse de ces orphelines guatémaltèques qui vivent dans des conditions exécrables dans les orphelinats d’un pays en proie à la dictature. Et puis, la grande évasion pour finalement se retrouver à la case départ. Mais ce qui force surtout l’admiration dans ce drame (qui aurait bien mérité lui aussi d’être un long métrage), c’est sa mise en scène intransigeante, son sans-gêne à filmer les corps féminins en détresse. D’où rejaillit un élan de sensualité même en temps de détresse. En fin de compte, rejoindre l’Amérique, autrement dit les États-Unis, comme si traverser la frontière ne signifiait rien, juste traverser un bout de terre pour rejoindre l’autre. Bryan Buckley signe une œuvre essentielle avec Saria, sincère, d’une horizontalité fidèle à un certain cinéma latino-américain, admirablement de son temps, tenant compte de l’ère trumpienne dans laquelle on vit. Un grand film porté par des comédiennes exceptionnelles.
Et The Neighbors’ Window qui rappelle par ce face-à-face singulier et non partagé le Hitchcock de Rear Window – en espagnol, La ventana indiscreta ou en français « la fenêtre indiscrète », en parfaite harmonie avec ce qui se passe dans ce film mené par des acteurs totalement investis dans leurs rôles. Alli surtout, mise en évidence par une Maria Dizzia en pleine possession de ses atouts dramatiques. Elle mérite de grands rôles au grand écran. Par ailleurs, le film de Marshall Curry est une belle proposition sur l’œil-voyeur, sur la curiosité comme source de rapport à l’autre et sur l’instinct sexuel, quotidiennement en constante ébullition dans notre inconscient. Mais surtout aussi sur l’idée (le plus souvent fausse) qu’on se fait sur la vie des autres.
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