École nationale de théâtre du Canada
FINISSANTS 2020
Entretien réalisé et retranscrit
par Élie Castiel
Une rencontre fort intéressante avec quelques finissantes et finissants de l’École nationale de théâtre. Une autrice, un auteur, une scénographe et un comédien. Moments brefs qu’on aurait voulu plus longs, mais pleins d’énergie, d’écoute, de rapport enthousiaste avec l’art dramaturgique. Afin de ne pas trop révéler sur les deux pièces en question – Le théorème d’Euclide et Ultime saga, nous avons intentionnellement altéré cette entrevue. Jessica Swale est autrice professionnelle et signataire de la troisième pièce, Nell Gwynn (en anglais), déjà montée ailleurs. La mise en scène, cette fois-ci à l’ÉNT, est assuré par Krista Jackson.
Aborder Euclide dans une pièce de théâtre demeure un pari pour le moins ambitieux et sans doute risqué. Quelle est l’idée derrière cette proposition?
Hugo Fréjabise (auteur / Le théorème d’Euclide) – Comme vous savez, le théorème d’Euclide n’existe pas. En le créant, l’idée de départ devenait de reprendre le duo Euclide et Ptolémée qui était un grand roi. À sa cour, il était entouré de grands mathématiciens et de philosophes de l’époque qui partageaient de nombreuses autres disciplines. En partant de l’idée que la base de la géométrie repose sur le fait qu’un segment est constitué de deux points quelconques, j’ai trouvé cela très intéressant du point de vue métaphysique, théâtral, que de dire qu’il suffisait de relier deux points qui n’avaient rien à voir pour faire ce qu’on appelle un segment, c’est-à-dire, permettez-moi de le répéter, la base de la géométrie. Et dans cette pièce qui aborde, entre autres, la notion de conflit, je trouvais ça très fort dans la mesure où on pouvait justement le résoudre. D’ailleurs, les personnages dans la pièce sont des personnages qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Par conséquent, créant la confrontation, l’altercation. Je n’en dis pas plus.
Dans un sens, s’agirait-il d’une pièce abstraite, quasi expérimentale, demandant aux spectateurs de construire leur propre interprétation?
Nadine Jaafar (scénographe / Le théorème d’Euclide) – Au départ, je trouvais difficile de trouver une proposition qui avait du sens quant à la scénographie. J’ai finalement eu l’idée d’avoir deux points dans un espace où on va les relier; et donc, notre position était de physiquement séparer ces aires dans pièce qu’on appelle « la grande salle » et dans laquelle se passe la grande partie de l’action. Mais dans un autre espace, lui aussi physiquement détaché, il y a toutes les autres scènes qui ont lieu . À un moment, j’ai, moi aussi, en plus des discussions avec l’auteur, commencé à réaliser la notion de la métaphysique. Dans un sens, sans doute qu’il s’agit d’une pièce utopique. J’espère que ma réponse est claire.
Tout à fait, j’ajouterais qu’étant donné que c’est une pièce sur une «idée» plutôt que sur un thème en particulier, je suppose que le décor doit s’imposer justement par son aspect minimaliste. Est-ce le cas?
NJ – Effectivement, mais dans le même temps, il contient beaucoup d’éléments. J’ai d’ailleurs discuté avec la responsable de la mise en scène en soulignant que si quelqu’un n’est pas scénographe, il va penser qu’il n’y a pas de scénographie. Mais le nombre d’éléments utilisés font que ça fonctionne. Il est important de mettre en évidence le fait que nous avons beaucoup travailler avec l’architecture du lieu; dans un sens, nous nous sommes camouflés dans cet espace singulier. Même symboliquement, je me suis moi-même vraiment effacée.
Donc, dans votre cas, il s’agit d’une présence indicible, cachée dans le brouillard.
NJ – Justement, sans trop dire sur la scénographie, je me permets de dire qu’il y a du brouillard.
HF – Oui, en effet, la pièce donne l’impression d’être abstraite, mais ce qu’on voit sur scène sont des conflits très concrets, voire même communs.
Une question qui se pose de plus en plus dans le théâtre québécois, c’est le niveau de la langue utilisée.
HF – Sincèrement, j’ai était influencé par ma propre expérience de Français, mais largement aussi par le parler d’ici. Un amalgame qui me paraît bien fonctionner. À aucun moment, il n’y a eu un travail de pseudo-normalisation au niveau de la langue utilisée.
D’où s’est construite l’idée derrière Ultime saga?
Tamara Nguyen (autrice) – À partir de mon intérêt depuis longtemps pour les récits de science-fiction et, entre autres, les jeux vidéo, ces nouvelles images qui s’ouvrent souvent au domaine de la technologie et répondent à de nouveaux besoins en matière de création. En fait, l’année dernière, j’avais fait une réécriture de Médée, un thème, certes, qui m’était cher, mais dans le même temps, je me rendais compte que pour que le public réussisse à entrer dans mon univers, il fallait qu’il possède des codes précis et une idée particulière sur la notion du mythe, qu’il n’avait pas nécessairement. J’ai donc travailler sur une nouvelle proposition avec, cette fois-ci, des codes plus accessibles. Il fallait à tout prix que le résultat soit dégagé, transparent à tous et surtout, nullement moralisateur. C’est donc à partir de là qu’Ultime saga a commencé à prendre forme. Il y avait aussi, sans trop dévoiler, des questionnements sur la théorie du complot. Que se passerait-il si ces théories s’avéraient vraies?
Brillante proposition. D’ailleurs, nous avons avec nous Loïc McIntyre, comédien. Quel rôle jouez-vous dans la pièce?
Je joue, dans Ultime saga, un personnage qui s’appelle Vladimir; une pièce assez finement construite qui allie bien cette nouvelle mythologie qui est l’univers de la science-fiction et celui des théories conspirationnistes, avec un fond assez puissant revendicateur, dénonciateur. En fait, personne n’y échappe.
La mise en scène des trois pièces sont assurées par des professionnel(les) du milieu. Quel est votre rapport en ce qui a trait à travailler avec elles ou eux?
HF : Dans le cas du Théorème d’Euclide, c’est Solène Paré qui met en scène. Je l’ai d’ailleurs rencontrée très tôt dans le processus de création. Elle a été une interlocutrice primordiale qui m’a beaucoup aidé à affiner les personnages.
Dans le cas d’Ultime saga, comment s’est-il passé?
TN : J’étais coachée sur mon texte pendant toute l’année dernière par Étienne Lepage. Un lien professionnel extrêmement fort unissait notre imaginaire car en arrivant en septembre, le texte était assez bien construit, et quand le metteur en scène, Sébastien David, l’a découvert, il était quand même assez établi. Évidemment, il y a eu des discussions autour du contexte dramaturgique, mais Sébastien m’a aidé, fait des critiques… On était aux premières versions du texte, mais je sentais que je me dirigeais sur la bonne voie. Encore une fois, un lien de confiance du fait qu’il a lui-même écrit des textes et mis en scène des pièces.
NJ – La scénographie que je propose, bien que minimaliste à certains points, demeure imposante. C’est d’autant plus important, dans mon cas aussi, d’avoir pu rencontrer Solène dans le processus de création. Un long cheminement mais dans lequel elle a compris qu’il s’agissait d’un projet de finissante.
LM – Évidemment, il y a, comme déjà mentionné par mes collègues, un processus créatif qui s’installe. J’ai admiré l’ingéniosité de Sébastien, son œil habile à percer le jeu des comédiens. Ça affecte notre jeu et ça nous stimule notre esprit critique et innovant. J’ai ma part d’artiste-créateur, quelque chose que je sens vraiment.
Est-il arrivé que vous ne soyez pas tout à fait d’accord avec le metteur en scène dans la manière d’interpréter votre rôle?
LM – Dans un sens, il s’agit d’un dialogue entre artistes et non pas un dialogue de sourds. Il faut trouver un équilibre sain, et nous sommes arrivés à le trouver.
Quelle belle façon de terminer cette entretien avec quatre amoureux de la scène avec tout ce que cela comprend. Mais en même temps, un partage démocratique où tous les artistes, nonobstant leurs disciplines, détiennent le même degré d’importance dans chacune des œuvres proposées.
NOTE : Chacune des pièces fera l’objet d’une critique.
Pour informations sur les trois spectacles, voir ici.