Berlinale 2025
ÉVÈNEMENT
[ Cinéma]
Élie Castiel
Cinq premiers pas et
deux nouveaux films
À défaut de pouvoir s’offrir un billet aller-retour à Berlin ou d’être chanceux comme certains d’avoir les frais payés par le festival ou leur organisme, ne serait-ce que pendant quelques jours, recevoir des liens non sollicités de la part de courageuses attachées de presse qui croient encore aux critiques qui le méritent par leur travail et le nombre d’années à exercer leur métier est une occasion unique en son genre qu’il ne faut pas prendre à la légère.
En tout, sept longs métrages qui nous ont donné l’occasion de tâter soigneusement (et minimalement) le pouls de ce festival légendaire, parmi les plus courus par les professionnels de l’industrie et de la critique.
S’il est un dénominateur commun qui unit ces films, c’est bel et bien celui d’une humanité en désarroi devant la persistante folie du monde actuel. Hasard ? Coïncidence ? Volonté d’éveiller les consciences, notamment celle d’un Occident en pleine crise d’amnésie malgré ou peut-être à cause des velléités malencontreuse de certains de nos dirigeants ? Est-il besoin d’aller plus loin ? Justement, au moment d’écrire ces lignes, les Élection en Allemagne prédisent un retour vers la Droite, pour le moment non pas l’Extrême, mais pour combien de temps encore ? En fait, les Conservateurs viennent de l’emporter. Exit Scholz.
Bref, comme c’est notre première incursion à la Berlinale dans KinoCulture (il faut mieux tard, même très tard, que jamais; enfin !), nous procéderons par ordre alphabétique par titre de films, une bonne vieille méthode, certes pas si innovatrice, mais nous donnant une idée de ce qui se passe dans la tête des cinéastes en question. Sauf pour le film, à mon avis, le meilleur du lot, que nous vous réservons pour débuter.
HOME SWEET HOME
Frelle Petersen | Premier long métrage
(Danemark – Hjem Kære Hjem)
Un premier film touchant, dramatique, bouleversant ; un sujet peu traité dans le cinéma de fiction, une vision de la vieillesse humaniste, revendicatrice. Un premier long de fiction pour ce jeune cinéaste danois qui, ultimement, en sait trop sur le vieil âge, sur les aides-soignants à domicile, en général des femmes, sur les angoisses qu’elles subissent au cours de leurs longues journée auprès des personnes âgées. Sofie accepte un emploi d’aide-soignante à domicile et rend visite à des clients âgés. Elle rencontre les dures réalités de ce métier exigeant, offrant un portrait authentique d’un métier souvent inédit et que Petersen présente dans une approche quasi documentaires, particulièrement dans les séquences de traitement.
On en sort bouleversé, traversé par cette odyssée auquel nous sommes tous et toutes confronté(es), espérant de souffrir le moins possible. C’est parfois indulgent, souvent presque cruel, mais toujours d’une profonde humanité que bon nombre d’entre nous ne veut pas voir. Dans le rôle de Sofie (qui, en grec, veut dire « sagesse »), Jette Søndergaard se donne corps et âme, créant des moments d’une émotion palpable dans un film, malgré le sujet, tout à fait lumineux. ★★★★
ET AUSSI…
HOW TO BE NORMAL AND THE ODNESS OF THE OTHER WORLD
Florian Pochlatko | Premier long métrage
(Autriche – Wie man normal ist und die Merkwürkigkeiten der anderen Welt)
Une idée intéressante que Pochlatko ne réussit pas totalement à dissuader le spectateur, trop pris par la générosité de son incroyable actrice, Luisa-Célie Gaffon (beaucoup de télé et quelques courts), totalement investie dans un rôle exigeant. Elle ne vole pas la vedette, mais la mise en scène qui la suit, plutôt que le contraire. Une sorte de mise en abyme révolutionnaire qui apporte tout de même à cette fable sur la folie douce et l’engagement social. On retiendra par contre certaines séquences qui ont pour mission de sublimer le plan, sans, par contre, nous plonger dans des extrêmes parfois inavoués. ★★★
HYSTERIA
Mehmet Akif Büyükatalay | Premier long métrage
(Allemagne – Histeri / Histiria)
Un premier film abouti malgré les digressions dues au sujet traité. Lorsqu’un Coran brûlé est retrouvé sur un plateau de tournage, l’équipe est plongée dans la tourmente. Prise entre deux feux, la stagiaire se retrouve entraînée dans un dangereux jeu de secrets et de mensonges et se retrouve au cœur d’une conspiration dévorante. Suspense, variation sur l’immigration clandestine en Allemagne, Islam fondamentalisme, réactions des uns et des autres. Toujours est-il que Büyükatalay ne laisse aucun répit quant au rythme du film, mais prend le risque d’aller d’un endroit à l’autre sans nous avertir. En fin de compte, cette hystérie collective retient tout de même notre attention. ★★★ ½
LEIBNIZ – CHRONICLE OF A LOST PAINTING
Edgar Reitz
(Allemagne – Leibniz – Chronik eines Verschollenen Bildes)
Un grand auteur du cinéma allemand, dans la même veine que les Volker Schlöndorff, le duo légendaire Danièle Huillet/Jean-Marie Straub, tributaire d’un certain cinéma allemand post-moderniste, même à leur époque féconde. Dans le cas d’Edgar Reitz, le jeune nonagénaire a construit un film-discours, un film-débat entre le célèbre philosophe allemand et les deux peintres censé faire un portrait de lui, commandé par la reine Charlotte. Au fil des séances, ils se lancent dans une quête passionnée pour découvrir l’essence de l’art, de l’amour et de la vérité dans la peinture. Le rapport entre la peinture et la philosophie se fait de plus en plus évident. Aujourd’hui, ce serait aussi entre les images en mouvements et le raisonnement, voir aussi les idées, de plus en plus rares dans le monde actuel. Dans le même temps, Reitz se questionne sur son propre cinéma, ses procédés scénaristiques. Ici, Leibniz, interprété avec une insouciance délectable et une nonchalance sans pareil par un immense Edgar Selge, s’en prend à cœur joie dans ce bavardage savoureux et les deux peintres et leur modèle. ★★★ ½
ON VOUS CROIT
Charlotte Devillers, Arnaud Dufeys | Premier long métrage
(Belgique – We Believe You)
Beau sujet que l’inceste, mais sujet grave aussi. Devillers et Dufeys chevauchent continuellement et prennent le pari de gagner, justement par leur mise en scène frontale qui donne au plan fixe (meilleure façon de confronter les deux partis opposants, les victimes et l’accusé dans un délire issu d’un scénario magnifiquement écrit, d’une maturité presque envahissante, défiant le spectateur jusqu’au plus profond de sa pensée et de ses préjugés. Observer ces visages, des adultes et des enfants. Que se passe-t’il au-delà de leur vérité à eux ? À tel point qu’on se demande à la toute fin si le coupable l’est vraiment. Cette volonté de nous plonger dans l’inconnu de nos perceptions est garante d’un film presque totalement achevé. ★★★ ½
THE GOOD SISTER
Sarah Miro Fischer | Premier long métrage
(Allemagne / Espagne – Schwesterhz)
La principale protagoniste, on la croyait fidèle à son frère, qu’elle aime d’un amour véritable, et lorsque la vérité s’exclame, brutale, sans concessions, proche d’une enquête menée de main de maître, les fondements même de la cellule familiale sont questionnés, remis en cause. Et pour la principale intéressé, l’occasion de jouer un rôle à divers parallèles d’interprétation. À l’instar de nombreux cinéastes qui débutent dans le long métrage, Sarah Miro Fischer croit fermement en la réussite immédiate – « I want it all and I want it now », une sorte de déclaration politique qui prouve son engagement dans ses diverses variations, presque magiques, entre moments idylliques et d’un coup, prenant des accents de tragédie. Mais le tout, intentionnellement froid, clinique. Et on aime le film ainsi. ★★★
THE MESSAGE
Ivàn Fund
(Argentine / Espagne – El mensaje)
Le réalisateur est de Venezuela et son film est celui d’une nouvelle vague de cinéma indépendant qui persiste et signe malgré tout, s’en fichant tout simplement du qu’en-dira-t-on. Sur ce point, on doit reconnaître son courage, sa détermination, son savoir-faire économe ; mais de l’autre, pour la grande majorité des spectateurs, on s’ennuie devant les pérégrinations de cette petite adorable qui sait parler aux chiens (bien sûr, à sa façon) mais surtout ce qu’ils pensent de leurs maître. Enfin, pas seulement eux, mais toutes sortes d’animaux, comme les tortues. C’est un fim sur la folie, la rientitude (nothingness, en anglais), un néant social et si l’on observe de près également politique. Cette famille ne vit dans un camion-maison par hasard. À nous de décider qu’elle en est la métaphore. Et le message dans tout cela ? Peut-être celui venu d’un Dieu terrestre. ★★ ½
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]