Visions du Réel 2025
ÉVÈNEMENT
[ Cinéma ]
Luc Chaput
De la
nature
et des
familles
Un homme âgé, debout dans une barque qu’il manie avec un grand bâton, navigue dans les marécages et les rivières d’un parc naturel. Il y chasse l’espèce plus petite de crocodile dite de Cuba.
Dans un magnifique noir et blanc aux nuances de gris, le réalisateur David Bim nous offre dans To the West, in Zapata (Al oeste, en Zapata) un portrait en deux parties quasi égales d’existences dans cette région sise près de la fameuse Baie des Cochons. Une symphonie de bruits divers remplit nos oreilles pendant le travail solitaire de Landi qui vit sous la tente pour accomplir cette occupation nourricière pour sa famille. Seuls les sons d’un poste de radio accompagnent cet homme dans ses périodes de repos après de durs combats contre ces bêtes. Le chasseur retrouve ensuite, dans sa petite maison sise dans une bourgade près de la mer des Caraïbes, son épouse Mercedes et leur fils handicapé. Les dialogues, faits d’échanges, de discussions et de rires, reprennent alors leurs places dans ce portrait empathique d’une famille pauvre vivant loin des grandes villes. Zapata a, pour ces raisons, remporté le Prix spécial du jury dans la section ‘Burning Lights’ et le Prix de la FIPRESCI lors de la 56e édition de ce festival suisse.

To the West, in Zapata
En 1982, le président Reagan signe une loi visant à sécuriser les moyens d’enfouir les déchets radioactifs. Une commission est mise sur pied qui choisit six sites habituellement dans des régions pauvres et aux caractères géologiques reconnus et en dresse un état des lieux en langage technocratique. Le cinéaste américain Casey Carter mène ainsi un tour des États-Unis, dans lequel les extraits de rapports, les archives cinématographiques et télévisuelles et les entrevues avec des résidents de la région concernée donnent une représentation critique de ce travail complexe de longue haleine aux multiples embûches. Les différences sociales et d’instruction ressortent tout au long. Ainsi des usines dans l’état de Washington ont pris part à l’effort de guerre qui a mené aux bombes d’août 1945. Des images d’Hibakusha sont ainsi placées en lien avec les témoignages de personnes vivant à proximité de ces centrales.

To Use a Mountain
Après le rappel par une biologiste amérindienne sur l’importance du saumon dans sa culture, le long métrage trouve son point culminant dans la marche et le discours d’Ian Zabarte, porte-parole Shoshone sur les droits reconnus par le traité de 1863 de son peuple sur le mont Yucca qui est le dernier site en lice et qui donne donc son titre To Use a Mountain à ce film. Ce périple, très ciblé en apparence, remet pourtant d’une autre façon en lumière les enjeux de l’utilisation du nucléaire dans notre époque de changements climatiques et de bouleversements trumpiens. Le Prix spécial du jury de la compétition internationale lui a été décerné.

The Vanishing Point
À Téhéran, une vieille dame raconte une récente rencontre dans un commerce avec une officielle de la police des mœurs. Elle détaille ensuite des éléments d’un spicilège et d’un album de photos qu’elle lègue déjà à son interlocutrice. La réalisatrice Bani Khoshnoudi filmant les pièces vides de la maison de ses grands-parents, les remplit de monologues sur son histoire familiale mis en rapport avec les cris et pleurs de femmes dans un grand cimetière et des images qui semblent prises en caméra cachée dans les rues de cette populeuse capitale. La place de l’exil entamé depuis 2009 par la cinéaste et ses liens multiples avec son pays trouve dans la dernière partie son expression la plus émouvante dans sa lettre à sa cousine disparue il y a déjà 36 ans dans les geôles de l’infâme prison d’Evin. Cette missive à un personne disparue mais toujours vivante dans les cœurs de certains relie son action à ce combat souterrain pour la liberté qui connaît des soubresauts plus visibles dans la dernière décennie et vers une perspective plus optimiste donc. The Vanishing Point (Noghteh-e-Goriz) a mérité pour ce mélange réussi de l’intime et du communautaire, le Prix de la section Burning Lights.
Nous reviendrons au cours de l’année sur d’autres films vus récemment tels que le dérangeant Blame de Christian Frei (War Photographer) sur le conflit entre science, réseaux sociaux et politique à la suite de l’éclosion de la Covid 19. Des films québécois comme Shifting Baselines de Julien Élie, J’ai perdu de vue le paysagede Sophie Bédard Marcotte, ont aussi fait partie de la sélection officielle de cette manifestation à Nyon toujours aussi pertinente par le large éventail de ces projections.