Hot Docs 2025

ÉVÈNEMENT
[ Cinéma ]
Luc Chaput
Changements
de perspectives

River of Grass
Une vieille dame marche dans son jardin et son chat blanc et noir la suit. Elles entrent toutes deux dans le cottage. Marjory Stoneman Douglas était une environnementaliste bien avant que ce terme devienne populaire. Issue de la haute bourgeoisie américaine, elle arrive jeune en Floride et elle est charmée par sa nature diversifiée et, en tant que journaliste, s’intéresse aux rapports entre les humains et ce milieu. Elle devient activiste et son livre le plus célèbre River of Grass sur les Everglades est aussi le titre du long métrage de Sarah Wortzel dans laquelle de nombreuses archives visuelles et sonores la montrent avec son franc parler. Elle amena une prise de conscience de l’importance de ces marais si changeants dans l’écosystème de cet état du Sud et poussa à la création d’un parc national en 1946. La cinématographie englobante de J. Bennett, remplie de divers tons de verts et autres couleurs vivifiantes, nous permet d’explorer ce vaste territoire lui aussi attaqué par des ouragans et dont des canaux ont scarifié les terrains. La guide et dirigeante Miccosukee Betty Osceola continue d’une autre manière le travail de la grande dame par des manifestations et des visites qui rappellent que, depuis longtemps, les autochtones y habitaient et communiaient d’une autre manière avec ses esprits. Pour cette immersion aérienne, ce long métrage a remporté le Prix du jury à ce fameux festival torontois.

#skoden
Bien loin de ces lieux humides, au Nord-Ouest de l’Amérique, se trouve dans le sud de l’Alberta, la réserve Kainai de la nation Blackfoot sise à côté de la ville de Lethbridge. Un autochtone y est décédé, vilipendé auparavant sur les réseaux sociaux mais une campagne de memes titrée #skoden, contraction de l’expression let’s go then avait réussi à mettre le holà à ces insultes. Le réalisateur Damien Eagle Bear emploie ce cas d’espèce pour interroger la relation entre les deux communautés albertaines. Il reconstitue la vie de Pernell Bad Arm et en rend toute sa complexité par la variété des entrevues recueillies. Pernell avait connu les affres d’un pensionnat pour autochtones mais avait continué malgré son alcoolisme à garder son sens de l’humour et son désir de défendre les plus petits que lui. Cette récolte de témoignages dont plusieurs sont prenants se déroule dans une visite guidée de cette petite ville universitaire. Le jury a eu raison de décerner le Prix du cinéaste canadien émergent à D.E. Bear pour ce portrait.

Shamed
L’Internet, ses réseaux sociaux et ses sites de plus en plus innombrables, est aussi le lieu de dérives. Le cinéaste Matt Gallagher dans Shamed met en lumière la tactique de l’Ontarien Jason Nassr qui, sur son canal Creeper Hunter TV sur YouTube, partait à la recherche de supposés pédophiles, en coinçait certains qu’il jetait en pâture à la vindicte populaire. Dans une grande salle presque vide, l’équipe de production interviewe le dit justicier malveillant et le confronte à ses contradictions et aux manquements dans son travail d’enquête. Cette recherche du sensationnalisme sera la cause tout au moins indirecte de la mort de plusieurs de ces dénoncés incapables de se défendre contre ce lynchage médiatique. Le documentaire se termine par l’issue d’un procès contre ce Nassr qui laisse un goût très amer et pose de grandes questions sur l’inadéquation des lois face aux forfaits d’un nouveau mode.

Betrayal
Un enfant est amené de sa région pauvre pour vivre chez sa sœur, épouse d’un homme politique influent. Charles Taylor deviendra ensuite le leader du Liberia et un dictateur accusé de crimes contre l’humanité. Une des sources majeures de la poursuite est Cindor Reeves qui considérait son beau-frère comme son père adoptif. Membre de la garde rapprochée de Taylor, Cindor accumule des infos sur les incroyables exactions que l’équipe Taylor a mis en place dans son pays et dans la Sierra Leone voisine. La réalisatrice Lena MacDonald, dans Betrayal, allie des conversations répétées avec Cindor en fuite avec de nombreuses archives visuelles et des rencontres avec des journalistes et juristes pour établir une histoire de ces années destructrices. Le spectateur est étonné qu’aucune offre sérieuse de protection n’ait été mise en place et suivi d’effets pour ce courageux dénonciateur de turpitudes qui est toujours la cible des sbires du dictateur déchu et emprisonné.
Nous reviendrons, lors de leurs sorties ultérieures, sur The Last Ambassador, beau portrait par Natalie Halla de la diplomate afghane Manizha Bakhtiari qui continue de défendre au loin le sort de ses compatriotes et sur Ai Weiwei’s Turandot, reportage de Maxim Derevianko sur la préparation par le fameux artiste contestataire chinois de sa mise en scène de l’opéra de Puccini à Rome. Ce sont là, avec Casas Muertas de Rosana Matecki, quelques-uns de ces nombreux films qui ont retenu l’attention cette année pendant ce festival qui a retrouvé de nouvelles lueurs après les difficultés de 2024.