Kirk Douglas
HOMMAGE
texte Luc Chaput
Lutter pour atteindre
l’inaccessible étoile
Dans un tunnel routier à Los Angeles, un homme mature, au volant de sa voiture sport au milieu de deux rangées de camions, lâche son volant. Ses mains jointes au-dessus de celui-ci rendent l’automobile autonome. Le publicitaire Eddie Anderson est désabusé des compromissions de sa vie et vit sa crise de la cinquantaine.
Kirk Douglas, en acceptant ce rôle dans le film d’Elia Kazan tiré de son roman en partie autobiographique, The Arrangement (L’arrangement),lézarde son image d’acteur toujours menton à l’avant et aux colères explosives. Il prend acte aussi de sa relation conflictuelle avec son père chiffonnier juif russe alcoolique immigré dans la petite ville d’Amsterdam au centre-nord de l’état de New York. Issur Danielovich né en 1916, devenu Isador Demsky, a pris ensuite comme nom de scène des prénom et patronyme très écossais avec lequel il est devenu si célèbre et pendant si longtemps. De son parcours de lutteur au collège où il a connu une bonne éducation, il a appris à compter sur ses propres moyens, à approfondir d’autres techniques pour parfaire son art et son jeu et à utiliser sa force évidente dans son physique d’athlète pour surprendre les partenaires et donc le public. Cette force de caractère est patente dans le choix du film qui en fit une star Champion (Le champion) venant d’une équipe de producteur-réalisateur alors peu connus Stanley Kramer et Mark Robson. L’engagement physique et émotionnel que Douglas met dans cet être crève encore l’écran. Il prend rapidement la décision de devenir indépendant nommant sa compagnie Bryna du nom de sa mère adorée.
Il voit dans les changements des structures des studios des possibilités d’aller chercher ailleurs en Europe ou en Amérique des partenaires de financement ou de coproduction. Avec Kubrick, Wilder, Minnelli et bien d’autres, il rajoute d’autres cordes à ses arcs de producteur et même de réalisateur menant à bien Paths of Glory (Les sentiers de la gloire) puis Spartacus contre l’avis de plusieurs en s’y investissant corps et âme. Ses relations avec ses divers collaborateurs sont souventes fois ardues et il se mérite un qualificatif que l’on peut traduire gentiment de tête ultra-dure comme ce personnage qu’il interprète dans The Bad and the Beautiful (Les ensorcelés), de Vincent Minnelli.
Pourtant de nombreuses amitiés avec entre autres Burt Lancaster, Lauren Bacall et Karl Malden accompagnent le parcours de cet homme qui aimait jouer et se coltiner avec les plus grands. Capable aussi d’auto-ironie, il avait accepté avec délectation les nombreuses imitations de son phrasé particulier mâtiné de colère rentrée et montra un bon sens comique dans 20,000 Leagues Under the Sea (Vingt mille lieues sous les mers), de Richard Fleischer. Son immersion dans les rôles lui causa un mauvais tour dans Lust for Life (La vie passionnée de Vincent van Gogh). Une certaine ressemblance physique le rapprochait de Vincent Van Gogh dont les tourments psychologiques et l’insuccès public de ses œuvres lui offrirent un miroir déformant qui le happa pendant une période, même après le tournage. Il y méritait l’Oscar qu’il n’a bien entendu pas eu comme pour ses deux autres nominations.
L’avant-dernière partie de sa vie voit le succès public et critique de One Flew Over The Cuckoo’s Nest (Vol au-dessus d’un nid de coucou), de Milos Forman. Détenteur des droits cinématographiques de la pièce, Kirk avait passé le bâton à son fils Michael espérant quand même jouer le rôle principal qu’il avait créé en 1963 sur Broadway. Ce ne fut pas le cas mais cette implication sociale, ici sur les asiles psychiatriques, qui irrigue plusieurs de ses projets avait porté une autre fois ses fruits. Auteur à succès, il renoue avec sa judéité dans l’ultime période de sa vie après des épisodes médicaux ardus et continue de trouver en Anne, l’amour de sa vie au caractère aussi trempé que le sien, le partenariat au long cours qu’il avait espéré. Son film préféré en tant qu’acteur est Lonely Are The Brave (Seuls sont les indomptés), de David Miller, mais l’impact durable de son art montre bien qu’être différent peut être un autre chemin vers la gloire et devenir ainsi le dernier survivant des méga-étoiles de l’ancien firmament hollywoodien.