Le public préfère le doublage au sous-titrage

TRIBUNE LIBRE.

texte
Sylvio Le Blanc

Après avoir reçu le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère pour Parasite, le réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho déclarait : « Quand vous aurez surmonté la barrière des deux centimètres de sous-titres, vous découvrirez des films étonnants. »1

N’ayant aucune attirance particulière pour le coréen, j’ai préféré voir ce film doublé en français de France et j’ai été ravi. Le grand public n’aime pas les sous-titres, qui le détournent de l’essentiel, à savoir l’image, avec tout ce qu’elle renferme (le jeu multiple des comédiens, les mouvements de caméra, la palette des couleurs, les décors, etc…). Des sous-titres qui appauvrissent aussi le texte (qui n’est jamais pleinement rendu par ceux-là) et qui, pour finir, balafrent l’image.

La cinéaste italienne Lina Wertmüller l’a dit autrement à Los Angeles : « Je crois totalement au doublage. Les sous-titres ont un effet désastreux sur un film. Au lieu de vivre un film à travers les images, on est constamment interrompu par la lecture des sous-titres et on passe son temps à baisser et lever la tête, on perd tout le rythme de l’image. Naturellement, il y a des oreilles raffinées qui veulent entendre les voix originales des comédiens. Je comprends cela. Cependant, il ne faut jamais oublier que le cinéma est un art populaire, pour les masses. Je trouve très important que les gens puissent avoir accès à ces films grâce à un doublage. Le public américain perd beaucoup à ne pas être exposé à d’autres films. »2

La cage aux folles

Les États-Unis n’ont pas toujours rejeté le doublage. Par exemple, à la fin des années 1970, La cage aux folles y a obtenu un gros succès, notamment dans sa version doublée en anglais3. Mais voilà, peu à peu, ils se sont fermés au cinéma étranger, préférant les remakes (le cinéaste français Francis Veber a vu neuf de ses films en faire l’objet4).

Le producteur québécois Rock Demers5 a raconté sa déconvenue survenue à la fin des années 1980 : « Les gens de Disney ont regardé le film [La Grenouille et la Baleine6] et à la fin, en voyant les noms au générique, ils ont demandé : “Est-ce que ç’a vraiment été tourné en français?” Le doublage était exceptionnel et ça ne leur dérangeait pas. Ils souhaitaient acheter le film. (…) Ne manquait que la signature du grand patron. Mais il a ajouté : “Un film doublé ne sera jamais lancé par Disney, peu importe s’il est bon”. Et ça s’est arrêté là, aussi incroyable que ça puisse paraître. (…) C’est simple, il n’y en a pas, sauf exception, de films étrangers qui rentrent sur ce territoire-là [les États-Unis.]7». M. Demers avait pourtant connu du succès quelques années auparavant avec la version doublée en anglais de La guerre des tuques (The Dog Who Stopped the War8).

Parasite

En 1993, le cinéaste portugais Antonio-Pedro Vasconcelos publiait une lettre ouverte dans le quotidien Libération adressée à Woody Allen, Francis F. Coppola et Martin Scorsese pour les convaincre de prendre en charge le doublage d’un film européen9. En 1999, de nombreux comédiens (dont Catherine Deneuve, Gérard Depardieu et Sophia Loren) et cinéastes (dont Pedro Almodóvar et Wim Wenders) lançaient un appel au doublage de leurs films aux États-Unis dans une « lettre ouverte à la communauté cinématographique américaine » publiée dans l’hebdomadaire Variety10.

Mais il y a de l’espoir. L’automne dernier, Netflix ne faisait-il pas doubler en anglais le film québécois Jusqu’au déclin11? Nous devrions cesser de jeter notre argent par les fenêtres en subventionnant le doublage de films étrangers qui nous sont destinés et qui sont de toute façon doublés en France, et l’investir plutôt dans le doublage de nos propres films afin de les aider à percer les marchés étrangers. Défendre et prôner le sous-titrage, c’est faire l’affaire des grands « dominateurs culturels » (Hollywood, surtout), qui, eux, savent y faire en matière de doublage. Il faut pouvoir, dans la mesure de nos moyens, les concurrencer sur leur propre terrain.

Le sous-titrage est un pis-aller, nécessaire seulement quand le film est trop pauvre pour se payer un doublage.

La grenouille et la baleine

NOTES
1 https://journalmetro.com/culture/2417417/sous-titres-parasite/

2 Article d’André Guimond paru dans Le Soleil, Arts et spectacles, le vendredi 5 août 1994, p. A7.

3 https://www.amazon.com/Cage-Aux-Folles-Ugo-Tognazzi/dp/B00005BKZP

http://www.rcq.gouv.qc.ca/RCQ212AfficherFicheTech.asp?intNoFilm=17654

4 Article d’Elodie Emery paru dans Marianne, no. 803, Culture, le samedi 8 septembre 2012, p. 76.

5 https://fr.wikipedia.org/wiki/Rock_Demers#comme_Producteur

6 https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Grenouille_et_la_Baleine

7 Interview de Rock Demers menée par Gilles Carignan et parue dans Le Soleil, Actualités, le samedi 16 février 2002, p. A3. https://voxophile.neocities.org/Livre.Doublage.2016-textes.html

8 https://www.youtube.com/watch?v=wwnoAukXeo8

9 Dépêche émanant de l’AFP parue dans Le Soleil, Arts et spectacles, le samedi 3 juillet 1993, p. C2.

10 Dépêche émanant de l’AFP parue dans La Presse, Arts et spectacles, le dimanche 10 octobre 1999, p. B10.

11 https://www.journaldemontreal.com/2019/11/20/doublage-avec-accent