Les enfants

CRITIQUE
scène

texte
Élie Castiel

★★★

À la base, il y a un problème majeur : le texte d’origine. Il arrive pourtant qu’en le transposant dans une autre langue, il se crée, comme par un tour de magie, une transformation complète qui le rend subtile, saisissant, plus agréable pour l’ouïe. Dans le cas des Enfants, Maryse Warda hésite, nul doute inconsciemment, tantôt trop populaire, tantôt à moitié engagée.

D’une part, dommage pour le texte de Lucy Kirkwood qui, malgré de très louables intentions, se perd royalement entre la vision critique d’un phénomène environnemental percutant et le triangle amoureux, ce dernier prenant quasi la très grande partie de la pièce.

Ce monde impitoyable

Là n’est pas le problème. D’autres ont écrit sur les liens affectifs à trois avec plus de panache, d’humour, de conscience individuelle et de discernement, tout en reliant leurs paroles à une critique sociale, politique ou autre. Ici, la banalité prend une trop grande partie de l’ensemble, jusqu’à sommer le spectateur à abandonner.

Comme des pros, nous restons jusqu’à la fin pour voir comment tout cela va finir. Admettons que nous avons assisté à une tombée de rideau (bien sûr, métaphorique) assez réussie. Un départ des trois personnages vers des horizons incertains. Belle façon de terminer ce voyage singulier.

L’amour n’est-il plus possible à l’ère des débâcles climatiques et ses fréquentes manifestations? Ou est-ce l’âge qui nous rend moins apte aux élans du cœur? Certes, Fukushima n’est pas si loin dans cette pièce hybride qui demeure quand même pudique, comme frappée par une étonnante envie de cacher, non pas de censurer, mais de demeurer trop prudente et précautionneuse face au public.

Oui, certes, la maison où réside ce couple qui reçoit la visite inattendue d’une troisième personne qu’ils n’avaient pas vue depuis plus de trois décennies ressemble à un archipel protégé de la tragédie environnementale, qu’on veut oublier et qu’on n’évoque que rarement.

En avant : Germain Houde & Danielle Proulx / En arrière : Chantal Baril (Crédit photo @ DUCEPPE)

De ce triangle amoureux qui chavire entre l’amour, l’admiration, la haine, la jalousie et le désir qui s’éteint, Danielle Proulx, ailleurs très intense comédienne, incarne une Adèle effacée, comme si le contexte climatique l’avait affectée. On entend à peine ses mots. Face à elle, Germain Houde procure à son Robin une aura de machisme à l’ancienne; en revanche conscient de sa condition masculine d’une autre époque et vouloir en finir, s’attendant à ce que les changements climatiques et ses effets néfastes s’en chargent.

Et puis, Chantal Baril, la Rose fanée par les hasards malencontreux de la vie. Comédienne présente, audacieuse, occupant l’espace avec une noblesse et une dignité qui n’empêchent pas ses mouvements parfois volontairement peu gracieux, ses répliques assassines et un humour pince-sans-rire émouvant.

La pièce de Kirkwood a été créée pour la première fois à Londres, en 2016. Quatre ans plus tard, de nombreux événements confirment que notre monde demeure insensible et accablant.

La simplicité du décor de Marie-Renée Bourget-Harvey transpose admirablement ce côté des États-Unis perdu quelque part, dans un lieu écarté où ne se retrouve pas, exilé de la population urbaine, comme pour mieux se reconstruire, en vain.

On assistera à une charmante chorégraphie au son d’un Donne donne interprété par Nanette Workman, que nous avons plaisir à réentendre, et qui du coup, rejoint l’époque où les trois personnages étaient jeunes et croyaient en un avenir meilleur, même en trichant, en étant libres de leurs actes. Insouciants.

La pièce de Kirkwood a été créée pour la première fois à Londres, en 2016. Quatre ans plus tard, de nombreux événements confirment que notre monde demeure insensible et accablant.

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
Lucy Kirkwood

Traduction
Maryse Warda
de l’original The Children

Mise en scène
Marie-Hélène Gendreau

Assistance à la mise en scène
Caroline Boucher-Boudreau

Scénographie
Marie-Renée Bourget-Harvey

Costumes
Cynthia St-Gelais

Éclairages
Mykalle Bielinski

Chorégraphie
Claude Breton-Potvin

Acessoires
Normand Blais

Interprètes
Chantal Baril (Rose)
Germain Houde (Robin)
Danielle Proulx (Adèle)

Production
DUCEPPE

Durée
1 h 40 min
[ Sans entracte ]

Représentations
Jusqu’au 28 mars 2020
@ DUCEPPE

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]