I Shot My Love
I N É D I T
Numérique
CRITIQUE.
[ Sphères LGBT ]
texte
Élie Castiel
★★★★
Dans le cinéma des dernières années du siècle précédent, c’est sans doute dans Tarnation, le très beau témoignage cinématographique de Jonathan Caouette, que le journal filmé se positionne dans une trajectoire homosexuelle libérée de toutes contraintes et dont la descente finale ne peut être, malgré tout, que rédemptrice. Tomer Heymann, documentariste israélien, reprend l’idée en poussant
encore plus loin la réflexion. Prémisse d’autant plus subliminale qu’elle met en scène tout ce que le cinéaste a de plus cher au monde, sa mère, son amant et son espace géographique.
La caméra comme moyen
de fusionner le corps intime
Car, dans I Shot My Love, on ne retient pas uniquement le double sens d’une déclaration d’amour ouverte et la mise en perspective d’un positionnement politique, mais au contraire, on assiste à la genèse et à l’éclosion d’un dialogue avec l’affect que le jeune cinéaste met en place à mesure que le film se construit, jouant le tout pour le tout, risquant à chaque étape du tournage (ou du jeu) de devoir recommencer ou de simplement arrêter. Film casse-gueule dans tous les sens du terme, cet essai sur le rapport à l’autre et sur la filiation est avant tout un témoignage de l’acte cinématographique, de ses codes rigides, des libertés qu’on peut se permettre de prendre en cours de route, de ses abstractions, de ce qui parfois rapproche le processus de création de la vie et à d’autres moments le situe dans un univers parallèle imaginaire. Tomer Heymann retourne en Allemagne soixante-dix ans après que son père ait fui l’Allemagne nazie pour la Palestine. Le but de son voyage : présenter son film Paper Dolls au Festival international du film de Berlin. C’est là qu’il rencontre Andreas Merk, l’homme qui va changer et partager sa vie.
Andreas a été élevé selon les principes de la foi chrétienne, Tomer est de confession juive. Sans se poser trop de questions, Andreas suit Tomer en Israël. Nous assistons par la suite à la naissance et à l’édification d’une relation amoureuse dont les fondements se stabilisent autour du partage, de la complicité et de la connaissance de l’autre. Il est clair que dans I Shot My Love, il n’est nullement question d’un coming-out puisque dès le départ, les deux protagonistes-amants assument leur orientation sexuelle avec une franchise éclatante. Ici, la métaphore est beaucoup plus politique (et sociale) qu’elle n’y paraît. De quelle façon partager la vie avec quelqu’un dont la langue, la culture et la religion diffèrent des préceptes autour desquels on a grandi? Il s’agit simplement de coexistence, thème que Heymann place dans le film à l’intérieur d’une mise en scène intelligemment codée.
À titre d’exemple, les allusions au conflit israélo-palestinien, dont on peut entendre les échos dans le journal télévisé, seront intentionnellement désynchronisées et placées en son off afin de permettre à la vie de reprendre son cours. Mais par la même occasion, il y a là un refus de la réalité, un positionnement politique qui consiste à reculer devant l’Histoire, non pas pour oublier, mais pour survivre. Ici, le cinéma montre sa puissance infinie pour établir le dialogue par le biais de la métaphore. Andreas devra cohabiter avec la mère de Tomer. Divorcée, celle-ci n’a jamais accepté l’idée de vivre seule et que ses enfants aient quitté la maison familiale. Femme laïque mais israélienne dans l’âme, elle va, au cours d’un dialogue-clé avec son fils, essayer de le persuader que sa relation avec l’autre, l’étranger, ne peut durer, car lui et son compagnon n’ont rien en commun.
Ce à quoi Heymann répond en créant une mise en situation subliminale, parce que réelle et non pas issue d’une quelconque fiction : Andreas assistera à la cérémonie de la lecture de l’Haggadah lors du premier soir de la Pâque juive et tentera par tous les moyens d’apprendre les rudiments de l’hébreu. Le grand-père lui offrira d’ailleurs une copie de ce livre sacré traduit en allemand, comme preuve que le dialogue peut exister, même entre les générations. Plus tard, Tomer ira en Allemagne avec Andreas pour célébrer le soir de Noël avec la famille de son compagnon. De retour en Israël, ils rejoindront la famille de Tomer autour de la mère malade. Tomer et Andreas décideront finalement de partager leur vie.
De quelle façon partager la vie avec quelqu’un dont la langue, la culture et la religion diffèrent des préceptes autour desquels on a grandi? Il s’agit simplement de coexistence, thème que Heymann place dans le film à l’intérieur d’une mise en scène intelligemment codée.
Qu’importent les convictions religieuses, sociales ou politiques, ou même encore l’orientation sexuelle, vivre ensemble est une possibilité que Tomer Heymann expose avec de nobles arguments, par moments de façon un peu complaisante, mais toujours soutenue d’une dose d’humour sain, équilibré et avec l’expérience d’un rapport au monde et au cinéma d’une éthique contagieuse.
FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Tomer Heymann
Origine(s)
Israël
Allemagne
Genre (s)
Essai documentaire
Langue(s)
V.o. : allemand, anglais, hébreu; s.-t.a
I Shot My Love
Diffusion-DVD
http://tomerheymann.com/shop/
Contact
Heymann Brothers Films [ Israël ]
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]