Autour du TIFF 2021.
Deuxième partie
ÉVÉNEMENT
[ Toronto International
Film Festival ]
texte
Pierre Pageau
Il faut d’abord faire un premier constat, qui n’est malheureusement pas nouveau : le cinéma italien contemporain n’existe, en grande partie, que grâce aux coproductions, en particulier avec la France. C’est le cas pour Silent Land, de la réalisatrice polonaise Agniezka Zulewska et pour The Story of My Wife de la Hongroise Ildiko Enyedi. Nous sommes en présence de deux réalisatrices de métier mais qui, pour pouvoir faire leur film, doivent s’arrimer à un système, très européen (Euro-Images) d’aide à la production. Soyons très précis : ce système n’est pas nouveau. Le tout démarre avec des coproductions franco-italiennes, entre 1946 et 1966 ; elles furent un modèle, et une préfiguration, du « cinéma européen ». Entre 1946 et 1966, presque tous les grands cinéastes italiens y ont recours. À compter de 1989 Euro-Images va prendre la relève. Nos deux premiers films s’inscrivent dans ce modèle de production.
Où va le cinéma
italien contemporain ?
Silent Land se déroule en Italie, en Sardaigne plus précisément. Puisqu’il s’agit d’une coproduction, y a donc des comédiens italiens et même un comédien français, Jean-Marc Barr. Un jeune couple, Adam et Anna, tous deux Polonais, louent une villa dans cette région. Ils ont en vue une sorte de belle « lune de miel ». Mais très rapidement, des choses, les éléments, se dérèglent. La piscine, promise, doit être réparée. Un ouvrier local, venu aider, finit par s’y noyer. Ce cadavre, bien réel, mais symbolique aussi, vient hanter notre couple de touristes. Ils n’y comprennent rien à cette Italie profonde, méconnue. Le film est peu bavard ; le couple vit ses derniers moments. Une sorte de suspense tient le film sur une corde raide : la police locale enquête : que s’est-il passé avec la mort de l’ouvrier ? est-ce que Anna ou Adam, dans les faits, ont bien vu ce qui s’est passé ? L’enquête de la police locale ne fait qu’envenimer la relation dans le couple. C’est une tentative de scénarisation à l’américaine ; parfois cela tient le coup. En finale on doit penser que le noyé va vivre avec le couple, pour toujours. C’est glaçant.
The Story of my Wife (A feleségem története). Ildiko Enyedi est déjà bien connue, depuis son tout premier film Mon XXe siècle (Caméra d’or, Cannes 1989). Elle gagne aussi L’Ours d’or au festival de Berlin 2017 pour Corps et âme. The Story of my Wife est le récit d’un capitaine au long cours, Jakob, qui fait un pari : il va épouser la première femme qui va entrer dans son local. Cette femme c’est Lizzie (Léa Seydoux). Ce personnage et son interprète méritent le détour. Ce qui n’est pas le cas pour les autres protagonistes, même pour le celui, central, de Jakob. Louis Garrel, en jeune dandy parisien, devient le troisième homme de l’histoire, mais on ne saisit pas bien son utilité. Le film est divisé en chapitres, qui portent chacun un nom (comme Pouvoir de la sensualité ou encore On Chasing Reality). Il s’agit de peindre une vie de couple très difficile à cause d’un triangle amoureux ; rien de neuf alors. On peut noter qu’il y a un travail de direction artistique assez sophistiqué : mais ce beau travail ne peut masquer un scénario conventionnel et sans vie. Bref, un film d’une grande réalisatrice, mais qui se perd dans la poutine d’une Euro-production.
Piccolo corpo / Small Body de Laura Samani. Nous sommes dans une Italie du Nord-Est, au début du XXe siècle ; une jeune femme, Agata, perd son enfant. Elle n’accepte pas cette mort. Pour elle, il est nécessaire que l’enfant ait une sorte de sépulture, pour au moins se retrouver dans les Limbes. Elle décide d’apporter avec elle le corps de son enfant, le « petit corps ». Elle embarque dans un très long voyage. Cet intinéraire, très physique, pour ne pas dire géographique, nous met en contact avec une Italie rude. Le travail de la caméra est là pour créer l’équivalent de peintures rupestres. Cette Italie est très croyante, mais Agata vit cette religion à sa façon, ce qui nous la rend très sympathique. La rencontre avec un garçon solitaire, Lynx, va créer une nouvelle synergie. Ensemble ils vont défier de nombreux interdits. Le récit est très réaliste, par plusieurs aspects, mais on le reçoit aussi comme un conte. Il s’agit d’un premier long métrage, très réussi, une belle promesse pour le cinéma italien à venir.
Tre piani / Three Floors de Nanni Moretti. Cette fois-ci, pour la première fois, Moretti adapte un roman, de l’Israélien de Eshkol Nevo, et qui porte le même titre que le film. Ce roman est transposé dans la Rome que Moretti connaît si bien. Le titre fait référence au fait que trois familles, aisées, habitent dans trois étages différents. Moretti divise son film en grands chapitres. Par ailleurs, il n’a pas perdu, heureusement, son sens de l’humour et sa « bouille » toujours unique. Il est passé maître aussi dans l’exploration de différents « deuils » (que l’on pense à son grand film La chambre du fils). Ici, il y a le deuil des parents qui doivent comprendre l’accident mortel causé par leur fils, Andrea. Les parents devront apprendre à pardonner ; pour cela il y a cet aspect temporel de « 5 ans plus tard ». Il faut donc attendre la fin du film pour voir comment Moretti relie les parents au fils. Une scène de danse dans la rue peut nous rappeler Fellini et sa façon aussi de conclure un film. Globalement néanmoins, le film est décevant. On s’attendait à mieux de Moretti. Néanmoins il poursuit sa trajectoire et cela ne peut qu’être bénéfique au cinéma italien.
Futura. Un documentaire qui apporte un éclairage intéressant, différent, pertinent, sur la situation culturelle de l’Italie contemporaine. Réalisé par trois cinéastes déjà bien connus pour leur travail en tant que cinéastes indépendants : Pietro Marcello, Alice Rohrwacher (nombreux prix à Cannes) et Francesco Munzi. Ensemble ils décident d’explorer l’Italie en enquêtant sur la perception des jeunes sur leur pays. Ces jeunes ont entre 15 et 20 ans. Le portrait qu’ils dressent de « leur » Italie est plutôt déprimant, mais ils expriment bien ainsi leurs peurs et leurs rêves. Pour cette enquête les trois réalisateurs visitent de nombreuses villes : Rome bien sûr, mais aussi Venise, Palerme, Vérone, Gênes. Plusieurs jeunes rêvent de quitter l’Italie, mais d’autres vont demeurer pour rendre leur pays plus humain et contemporain. Sur plusieurs plans, Futura se dresse en parallèle avec Accatone (1961) et Mamma Roma (1962) ou Enquête sur la sexualité (1964) de Pasolini. Futura est un film avec un montage très efficace et un bon sens du cadrage; cela est utile pour bien capter toutes les émotions et les peurs de ces jeunes.
Ces films témoignent de l’existence d’une cinématographie encore bien vivante, et diversifiée. Aussi bien par elle-même que par les mécanismes de la coproduction, elle réussit à survivre. D’une certaine façon, le néo-réalisme de la grande époque (1945-1955) se retrouve d’une façon comme une autre dans certains films, une influence que certains cinéastes ne refusent jamais. Car force est de souligner qu’il permettait une plus grande liberté narrative que, par exemple, le cinéma classique hollywoodien. On retrouvait cette particularité chez Pasolini et elle se perpétue chez Moretti ou encore Paolo Sorrentino.
Le cinéma italien continue donc d’attirer des capitaux et des vedettes du monde entier, tout en permettant à ses meilleurs cinéastes de mener une carrière tout à fait honorable. Le tout pour notre plus grand bonheur.