Ça tourne à Jérusalem :
Création, croyance et interactions sur un plateau de cinéma
RECENSION.
[ Sociologie des arts ]
★★★ ½
texte
Élie Castiel
Fidèle à une tradition entamée depuis un certain temps par de nombreux doctorants ayant fini avec succès leurs études, Aurite Kouts succombe à la tentation de publier sa thèse, la rendant ainsi publique et par conséquent, pérenne dans tous les sens du terme.
Terrains vagues
Un thème : suivre le tournage du film israélien Plaot (The Wonders / Les merveilles) de l’Israélien Avi Nesher, un des chefs de file de ce cinéma national. S’intégrer dans le groupe, une équipe de tournage dont les membres, tous et toutes passionnées de cinéma remettent en question leur quotidien pour se lancer dans une aventure. Car tourner en Israël, c’est bien de périple qu’il s’agit lorsqu’on décide de réaliser un film. Idem aussi dans d’autres pays du monde, mais sous la plume de Kouts, portrait d’une série d’exigences très peu souvent exécutées, car l’Israélien (homme et femme) est un genre à part. Tensions politiques et lieu géographique obligent, tout est respecté selon des règles personnelles qui n’ont rien à voir avec une certaine rigueur occidentale. Et le comble, et c’est bien ainsi, ça fonctionne, puisque le résultat final s’avère le plus souvent bien au-delà des attentes.
Déjà, le titre de l’ouvrage est une invitation à travers les espaces, que Kouts appelle souvent « terrains » de la création. D’où, fréquemment, l’approche « militaire » des principaux intervenants, appelés « acteurs », comme si la création d’un film à l’étape de son tournage relevait d’une opération soldatesque minutieusement contrôlée. Même si dans le quotidien, ça ne paraît pas.
Mais qu’en est-il du bouquin ? À L’Harmattan, on sait que les textes ne sont pas révisés très adéquatement, d’où, ici, des coquilles par-ci, par-là, rien de trop grave, car l’enthousiasme de la principale intéressée se fait sentir de page en page, heureuse de s’intégrer au groupe, comme si elle faisait partie de l’équipe. Elle a interviewé plusieurs « acteurs » qui, en temps normal, n’ont pas vraiment de voix ; elle s’intéresse aux menus détails ; prend des notes lors des conflits entre membres de ce bataillon cinématographique ; encense le travail des femmes, ce qui nous paraît tout à fait logique.
Mais surtout, jette principalement son regard ethnologique de sociologue sur Avi Nesher, celui par qui tout arrive. Il dira, par exemple, que « … ce qui est magnifique dans le cinéma, c’est l’aspect collaboratif entre plusieurs personnes talentueuses. Je n’utilise jamais “je” mais “nous” quand je parle de cinéma. Je dois décider mais j’essaie d’utiliser la “je” le moins possible. (p. 85) » Encore une manœuvre militaire qui consiste à mettre en confiance les troupes en les dispensant de moyens de confiance.
Le bémol dans ce périple à travers la méticuleuse mise en marche chirurgicale d’un film, c’est bel et bien la langue, ou du moins la traduction de l’hébreu et anglais, au français. Bien entendu, lors du tournage, ça se passait principalement en hébreu, parfois en anglais, puisque l’auteure parle aussi ces deux langues – ses parents sont Israéliens, mais elle a grandi et vit en France. Problème de traduction donc, lieu où il est parfois difficile de transmettre certaines idées, des tournures particulières, des non-dits et autres accommodations d’une culture à l’autre.
Quoi qu’il en soit, Ça tourne à Jérusalem : Création, croyance et interactions sur un plateau de cinéma est un passionnant et enrichissant regard non seulement sur la création d’un film en « Terre sainte »… mais aussi, et c’est voulu ainsi, la vision documentaire d’un pays où la parabole biblique, les mythes fondateurs, le poids des religions, la résistance laïque (pas si résistante que cela) et la volonté, certes sincère, de s’inscrire dans une dynamique occidentale tout en préservant ses racines antiques demeurent non seulement des exigences de vie, mais font partie intrinsèque de la judaïcité.
Autre chose, l’organisation. Les notes de bas de page, excessives, sont trop longues. À tel point qu’on perd parfois le fil de ce qu’on lit à même le texte principal. Sans oublier les redondances qui se trouve d’un chapitre à l’autre. Kouts aurait dû passer plus de temps à organiser sa proposition, à y mettre un certain ordre. Normalement, la fin, même lorsqu’il s’agit d’un journal de bord, doit être concluante, laissant le lecteur satisfait de la thèse proposée. Le chapitre 6, le dernier, est suivi d’une « Conclusion » qui n’en ait pas vraiment une. Elle aurait pu simplement constituer le chapitre 7 même si certains des points soulevés le sont déjà dans d’autres chapitres du livre. Un petit rappel amical à l’auteure : on ne dit que tel personne argue (quasi un anglicisme), mais plutôt conteste, soulève, déduit, soutient… Mais arrêtons de nous soulever et soyons modeste.
Quoi qu’il en soit, Ça tourne à Jérusalem : Création, croyance et interactions sur un plateau de cinéma est un passionnant et enrichissant regard non seulement sur la création d’un film en « Terre sainte », un espace parfois miné qui résiste aux intempéries sociopolitiques, une accumulation de terrains vagues reconstruits, assimilés autant à l’aujourd’hui qu’à l’hier, mais aussi, et c’est voulu ainsi, la vision documentaire d’un pays où la parabole biblique, les mythes fondateurs, le poids des religions, la résistance laïque (pas si résistante que cela) et la volonté, certes sincère, de s’inscrire dans une dynamique occidentale tout en préservant ses racines antiques demeurent non seulement des exigences de vie, mais font partie intrinsèque de la judaïcité. Je suis bien placé pour le savoir. Quant à l’auteure, elle s’intègre au groupe avec une volonté de fer contagieuse.
Aurite Kouts
Ça tourne à Jérusalem :
Création, croyance et interaction
sur un plateau de cinéma
(Coll. « Logiques sociales »)
Paris : L’Harmattan, 2021
268 pages
[ Illustré ]
ISBN : 978-2-3432-3046-7
Prix suggéré : 39.15 $
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ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]