L’autre rive

SUCCINCTEMENT.
À Montréal, des itinérants s’organisent du mieux qu’ils peuvent pour survivre dans la rue en s’abritant dans des campings urbains de fortune. Des migrants dans leur propre ville.

CRITIQUE.
[ Court métrage ]

★ ★ ★ ★

texte
Élie Castiel

Sommes-nous en droit d’affirmer que nous assistons à un « nouveau cinéma québécois », comme c’est le cas à chaque génération; cette fois-ci axé sur cet amalgame, parfois réussi, entre la fiction et le documentaire. Nous évoquons ici la stratégie mise en place par les jeunes cinéastes, celles et ceux soucieux des enjeux sociaux de la québécitude, même si parfois, le nombrilisme se manifeste et l’ego s’affiche sans crier gare, notamment chez les cinéastes-hommes, sauf bien entendu dans le genre documentaire, les principaux intéressés plus soucieux des enjeux proposés.

Si le politique est pratiquement absent du discours, il n’en demeure pas moins que les images véhiculées aujourd’hui conduisent vers une prise en charge du regard de la part des spectateurs et spectatrices que l’on somme de participer à chaque nouvelle aventure.

C’est le cas de Gaëlle Graton. Avec L’autre rive, titre on ne peut plus limitrophe, la jeune réalisatrice nous conduit dans une sorte de no man’s land, que l’on pourrait traduire en français par « terrain à découvert », voire neutre, sans frontières puisque les déjouant. Ici, des itinérants qui, faute de politiques gouvernementales (voire municipales), se construisent leurs propres territoires. D’une certaine façon,  paradoxalement, créant leurs lignes de démarcation. Cette stratégie n’est-elle pas en quelque sorte une façon « pratique » d’exprimer le discours, de formuler la parole citoyenne?

Les réfugié(e)sSuite

Medea

Nos plus sincères remerciements vont à Dimitris Athanitis, cinéaste grec, un des membres
fondateurs et premier secrétaire de la Hellenic Film Academy (Académie du cinéma hellénique),
pour nous avoir permis de visionner une copie finale de son projet, Medea (Mýdeia), d’après Euripide.

Un projet cinématographique obsessionnel.

SUCCINCTEMENT.
La fin de l’histoire d’amour entre Jason et Médée, dès leur arrivée à Corinthe.

CRITIQUE.
[ Découverte ]

★★★★ ½

texte
Élie Castiel

Un projet ambitieux inconcevable qui traverse son esprit depuis des années, une idée intarissable qui tient de l’obsession, celle propre aux créateurs qui fantasment sur une simple image, un concept abstrait, aboutir à une relecture d’un texte antique et, ultime transgression, le déconstruire de façon à l’actualiser.

Acte « féministe » émanant d’un réalisateur gynophile? Nullement. Au contraire, un geste érudit, un rapport à la femme dénué de toute analyse freudienne compliquée ou de compromis (dé)raisonnnables. Entre Dimitris Athanitis et « sa » Médée, un rapport implicite intrinsèque, dans l’écrit, dans le concept hautement méritoire du personnage, mais, au contraire, manifeste dans la représentation. Médée, l’ex-épouse de Jason, la sorcière sensuelle d’une contrée « sauvage » qui a trahi les siens par amour, passion et sans doute goût insatiable de liberté. Et puis, la trahison. Est-ce nécessaire de plonger dans l’intrigue, mille fois racontée?

Les dix premières minutes de Medea et les dix finales se chargent de montrer l’(anti)héroïne dans une position de force, une femme face à la nature austère d’une Grèce antique sise dans une terre rocailleuse quasi inhospitalière, mais adorée des Dieux, les vents menaçants de cet empyrée où se manifestent régulièrement des divinités en colère.

Et puis un film. Une œuvre, sans doute sa meilleure, qui défie les règles de la narration linéaire même si l’horizontalité du plan, la caméra enquiquineuse et le goût pour la tragédie fondatrice se manifeste tout au long du film.

La certitude d’une sensualité vengeresse.

Mais un ajout, encore une fois, une sorte de transgression normative qui consiste à justifier la prise en charge de moments narratifs, hors l’œuvre original. Comme un péché de jeunesse irréversible qu’on ne veut nullement condamné.

Les dix premières minutes de Medea et les dix finales se chargent de montrer l’(anti)héroïne dans une position de force, une femme face à la nature austère d’une Grèce antique sise dans une terre rocailleuse quasi inhospitalière, mais adorée des Dieux, les vents menaçants de cet empyrée où se manifestent régulièrement des divinités en colère. Médée (et Athanitis) en est consciente, puisque sa proximité aux Dieux lui permettent cet affront. Aucun dialogue, seuls les sons de la nature (magnifiquement orchestrés par Mihalis Sarimanolis), inquiétants, surréalistes, hors-normes, se substituant à la quiétude humaine, elle, fabriquée.

Dimitris Athanitis n’est pas tout seul dans cette magnifique aventure. Pier Paolo Pasolini (pour l’austérité de la nature), un certain cinéma de l’Est, notamment des années 60 (pour la rigueur des plans) et un rapprochement au drame shakespearien sont au rendez-vous en forme d’hommage discret, latent, qu’on devine entre les branches.

Magnifiques images en noir et blanc également (hommage sans doute aux premières transpositions de tragédies grecques de Michael Cacoyannis et que, ici, la caméra de Yannis Fotou se (com)plaît à conquérir avec une justesse remarquable. Le corps et surtout l’esprit se rapproche dans une sorte de mouvement intime, quasi incestueux qui correspond « royalement » à ce lien qui existe, chez tout individu, cette frontière entre la concrétude du réel et le conceptuel, l’abstrait de la pensée.

Médée et Jason.
Une confrontation dévisagée.

Hommage plutôt que trahison à l’auteur hellénique. Un face à face percutant entre l’Artiste (Athanitis) et le Poète (Euripide). Un dialogue non pas de sourd, mais de complices, des siècles plus tard, mais qui paraissent comme non-inscrits dans le temps.

Il y a aussi une volonté de se rapprocher d’un auditoire actuel. La meilleure façon : la langue. Un grec d’aujourd’hui, non pas comme langue de tous les jours, mais châtiée, facile à comprendre, classique dans sa diction. Un rapport oral à l’autre se définissant comme un parti pris politique séducteur. La rhétorique du verbe n’a jamais était aussi conciliante.

Mais Dimitris Athanitis n’est pas tout seul dans cette magnifique aventure. Pier Paolo Pasolini (pour l’austérité de la nature), un certain cinéma de l’Est, notamment des années 60 (pour la rigueur des plans) et un rapprochement au drame shakespearien sont au rendez-vous en forme d’hommage discret, latent, qu’on devine entre les branches.

La Médée d’Athanitis est le récit d’une négociation insondable entre la principale intéressée et Jason, entre la même et Créon, roi de Thèbes, entre elle et Égée, qui semble signer avec lui une sorte de contrat à l’amiable, parce qu’il semble la comprendre.

Le moment important du film, celui que tous attendent ne sera pas montré. On le devine à travers des magnifiques ellipses, des transitions sans nom qui disent tout.

La Médée d’Athanitis est le récit d’une négociation insondable entre la principale intéressée et Jason, entre la même et Créon, roi de Thèbes, entre elle et Égée, qui semble signer avec lui une sorte de contrat à l’amiable, parce qu’il semble la comprendre.

Au départ, elle, Médée devra être une esclave soumise. Dans la réalité des choses, selon l’écrit euripidien, elle manifeste sa totale liberté en ayant recours à une vengeance implacable, comme si proche des Dieux, elle aurait comme mission d’apaiser leurs courroux face à la trahison des Hommes.

Une question de discernement.

Et Alexandra Kazazou, entière, s’approchant d’une Maria Callas pasolinienne, délaissant ses côtés « glamour » pour se munir d’attirails sauvagement agrestes. Sur elle, des plans rapprochés plutôt que gros, et parfois des plans entiers pour la correspondance qu’elle maintient constamment avec la nature. Le chœur grec? Médée, ici, préfère en général s’arranger elle-même. Jason? Produit d’un patriarcat qui se perd dans la nuit des temps : pouvoir, garanties économiques et territoriales, misogynie ambiante, phallocratie excessive, sens détourné de l’honneur.

Pour Jules Dassin, sa Médée s’exprime par la voix et l’esprit de son égérie Melina Mercouri dans Cri de femmes / Dream of Passion / Kravyi Yinekon (1978). Dans le cas de Dimitris Athanitis, Alexandra Kazazou invente admirablement son propre mythe, tragiquement inébranlable, majestueux, unique.

Et un plan final magique où le cinéma s’intègre admirablement à la narration. La technique entre en parfaite union avec l’intention narrative, produisant en nous une sorte d’extase visuelle et sonore rarement ressentie dans la cinéma contemporain.

Et puis, une époque imaginée, pas celle de la Grèce antique, mais d’un Moyen Âge occidental opposé à l’Empire byzantin. Pourquoi ce parti pris? Qu’importe. La proposition est un libre choix.

En fin de compte, Medea est un film surprenant, non uniquement pour sa maîtrise à contrôler le plan, d’où une durée qui se limite au thème principal, mais plus que tout, pour l’analyse diégétique, contrairement à la mimèsis (trop démonstrative) à laquelle nous soumet un cinéaste totalement amoureux de son projet.

Et un plan final magique où le cinéma s’intègre admirablement à la narration. La technique entre en parfaite union avec l’intention narrative, produisant en nous une sorte d’extase visuelle et sonore rarement ressentie dans la cinéma contemporain.

[ Les images sont une gracieuseté du réalisateur. Nous lui en sommes gré. ]

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Dimitris Athanitis

Scénario
Dimitris Athanitis

Tournage de Medea.
Dimitris Athanitis au cente.

Direction photo
Yannis Fotou

Montage
Stamatis Magoulas

Direction artistique & Costumes
Stella Kaltsou

Son
Mihalis Sarimanolis

Musique
Dimitris Athanitis

Interprètes
Alexandra Kazazou (Médée)
Marcos Papadokonstadakis (Jason), Lefteris Tsatsis (Créon),
Virginia Tamparopoulou (la fille), Costas Kazanas (Égée)
ainsi que
Eleni Tzagaraki, Nikolitza Drizi
Stelios Dimopoulos, Constantin Kazazis
Alvertos Kalogeropoulos, Morfeas Papoutsakis
& Labros Antonopoulos

Genre(s)
Drame

Origine(s)
Grèce

Année : 2022 – Durée : 1 h 24 min

Langue(s)
V.o. : grec; s.-t.a. ou s.-t.f.
Médée
Mýdeia

Dist. [ Contact ] @
[ DNA Films ]

Classement (suggéré)
Interdit aux moins de 13 ans

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

 

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