Alain Delon
< 1935-2024 >

H O M M A G E

texte
Pascal Grenier

Le battement

d’un cœur éternel

Alain Delon

Il y a des hommes qui transcendent leur temps, des visages qui deviennent des miroirs où une génération entière se reconnaît, où les rêves de millions se reflètent. Alain Delon est l’un de ceux-là. Avec ses traits sculptés par une lumière que seuls les dieux semblent capables d’offrir, il a gravé son empreinte indélébile dans le marbre du cinéma français, mais aussi dans nos cœurs.

Delon n’est pas simplement un acteur ; il est le symbole d’une époque révolue, où l’élégance n’était pas une simple façade, mais une manière d’être, une philosophie en soi. Dans Plein soleil, son regard, pénétrant comme une lame effleurant les cœurs les plus endurcis, a captivé bien plus que la caméra. Il a conquis des âmes, les a transportées au-delà du visible, les a plongées dans l’essence même de la condition humaine.

Avec lui, chaque silence devient un poème, chaque mouvement une danse subtile avec l’invisible. Dans Le samouraï, il n’a jamais cherché à être un mythe ; il l’est devenu, presque malgré lui, par la pureté de son art et la sincérité de ses émotions. On se souvient de lui, silencieux, impassible, l’éclat d’une étoile dans la nuit, incarnant un tueur à gages au code d’honneur implacable.

C’est cette dualité qui a toujours défini Alain Delon. Dans Rocco et ses frères, il est à la fois tendre et implacable, incarnant un homme déchiré entre la loyauté envers sa famille et les passions qui le consument. Dans L’éclipse de Michelangelo Antonioni, il révèle une autre facette de son talent, celle d’un homme perdu dans un monde moderne dénué de repères, où chaque geste, chaque mot semble porter le poids du vide existentiel.

Là où d’autres se contentent d’incarner un rôle, Delon s’y plonge corps et âme, transcendant le texte et le cadre pour devenir un symbole vivant. Dans Le guépard de Luchino Visconti (celui qui lui a tout appris), il est ce prince déchu, cet aristocrate à la dérive dans un monde qui change trop vite. Avec une élégance désespérée, il capte l’essence d’une époque qui meurt, laissant derrière elle un sentiment de mélancolie et de grandeur perdue.

Alain Delon et Monica Vitti dans L’éclipse (L’eclisse),
de Michelangelo Antonioni

Dans La piscine, Delon nous offre une autre performance inoubliable, où le désir, la jalousie et la trahison se mêlent dans un cocktail enivrant de tension. Sous le soleil brûlant de la Côte d’Azur, il incarne la torpeur et le danger, l’homme dont le silence en dit long, dont le sourire cache des abîmes insondables. Et qui peut oublier Le clan des Siciliens, où Delon, aux côtés de géants tels que Jean Gabin et Lino Ventura, tisse une toile de crime et de loyauté dans l’univers impitoyable du grand banditisme ?

Mais Alain Delon, c’est aussi l’aventurier intrépide, prêt à tout pour une cause. Que ce soit dans Le cercle rouge ou Borsalino au côté de Belmondo, l’on perçoit sa capacité à jongler entre la finesse psychologique et l’action brute, sans jamais perdre une once de sa prestance. Dans M. Klein, il est ce marchand d’art ambigu, pris dans la tourmente de l’Occupation, un rôle où sa froideur apparente masque une inquiétude croissante, un désarroi intérieur qui résonne encore longtemps après la fin du film.

Merci, Monsieur Delon, pour avoir incarné une époque, pour avoir fait battre nos cœurs à l’unisson du vôtre, pour avoir été ce phare dans la nuit, guidant des générations vers la lumière de l’art, de l’émotion, de la vie.

En le voyant à l’écran, on comprend ce que c’est que de vivre intensément, de ressentir profondément. Ses rôles, qu’ils soient ceux d’un amant, d’un tueur ou d’un héros tragique, sont autant de facettes d’une personnalité complexe, d’une âme tourmentée par les beautés et les horreurs du monde. Alain Delon a donné au cinéma une part de lui-même, une part que nous portons tous en nous, maintenant. Ses films sont des souvenirs d’un temps où les rêves se tissaient en noir et blanc, mais où les émotions éclataient en mille couleurs. Et même aujourd’hui, alors que l’homme se faisait plus rare depuis quelques décennies, son héritage demeure, vibrant, battant encore comme un cœur dans l’obscurité d’une salle de cinéma.

Merci, Monsieur Delon, pour avoir incarné une époque, pour avoir fait battre nos cœurs à l’unisson du vôtre, pour avoir été ce phare dans la nuit, guidant des générations vers la lumière de l’art, de l’émotion, de la vie. Vous êtes, et serez toujours, plus qu’une icône : vous êtes un maître du silence et le dernier monstre sacré du cinéma français à nous quitter. Adieu, l’ami.

Cheng Pei-pei
< 1946-2024 >

un Hommage
de
Pascal Grenier

Au revoir

belle hirondelle

Cheng Pei-pei

Une grande dame du cinéma de genre vient de nous quitter. Surnommée la reine du wu xia pian (films de sabre chinois), l’actrice chinoise emblématique Cheng Pei-pei a marqué l’histoire du cinéma. Dans L’hirondelle d’or (Come Drink With Me / Dà Zuì Xià) du légendaire King Hu, elle est la première héroïne à incarner le rôle d’une guerrière experte en arts martiaux. Ce chef-d’oeuvre de 1966 produit par le studio Shaw Brothers a révolutionné le genre des films en intégrant des éléments de réalisme, des personnages complexes et des scènes de combat chorégraphiées avec une grande précision et une esthétique visuelle soignée. King Hu a apporté une profondeur et une sophistication sans précédent au genre. Et le rôle de Golden Swallow qu’incarne Cheng Pei-Pei à l’écran à l’âge de 19 ans seulement a ouvert la voie à de nombreuses autres actrices d’arts martiaux et a joué un rôle clé dans l’évolution des héroïnes d’action au cinéma. Un rôle qu’elle a ensuite repris en 1968 dans l’excellent Golden Swallow (Le retour de l’hirondelle d’or / Jin yan zi) de Chang Cheh.Suite

Roger  Corman
< 1926-2024 >

in
memoriam

texte
Pascal Grenier

Le pape de

la série B

Roger Corman, pointant du doigt.

La plus grande légende du cinéma indépendant américain vient de s’éteindre. Célèbre pour ses productions à petit budget et sa capacité à avoir dénicher de nombreux talents au cours de son illustre carrière, l’honorable Roger Corman est décédé à l’âge de 98 ans. Très prolifique à ses débuts dans les années 1950, on lui doit une cinquantaine de réalisations et une carrière encore plus active derrière la caméra et à la fabrication de films. Entre 1954 et 2008, il est impliqué dans la production de près de 400 films soit à titre de producteur ou de celui de producteur exécutif. Des réalisations pour la plupart fauchées et au rabais où l’enthousiasme des artisans est souvent contagieux et ajoute à la qualité de la production, compensant pour la pauvreté technique de certaines d’entre elles.

Comme réalisateur, la carrière de Corman atteint son apogée dans les années 1960 avec notamment ses nombreuses adaptations cinématographiques des ouvrages du célèbre écrivain Edgar Allan Poe, The Mask of the Red Death – Le masque de la mort rouge étant son chef-d’œuvre du cycle Edgar Poe. Durant cette période, il aide à lancer la carrière de Jack Nicholson, Francis Ford Coppola et Peter Bogdanovich, fait de Vincent Price un monument du cinéma d’épouvante tout en donnant un second souffle à des vieilles légendes comme Boris Karloff. Une décennie fulgurante où il explore beaucoup et invente de nouveaux sous-genres tels que les films de bikers (motards) avec l’excellent The Wild Angels / Les anges sauvages, avec Peter Fonda qu’il révèle au grand public.

The Mask of the Red Death

Il fonde la New World Pictures en 1970 et contribue à sa façon à l’essor du New Hollywood dans cette décennie fort importante et créative pour le cinéma américain. Cette société était connue pour son engagement dans la production de films à petit budget, mais également pour avoir donné leur chance à de nombreux réalisateurs et acteurs émergents. C’est grâce à Corman que les Jonathan Demme, Martin Scorsese, Joe Dante, John Sayles, Ron Howard et James Cameron, pour ne nommer que les plus célèbres, émergent. Des artisans qui ont réussi à se distinguer en apprenant sur le tas et à faire leur cheminement dans l’industrie du cinéma.

New World Pictures a produit et distribué une large gamme de films, principalement des produits de série B allant des films d’horreur et de science-fiction aux films d’action, d’exploitation et aux comédies. La société a contribué à façonner le paysage cinématographique des années 1970 et 1980, et son impact sur l’industrie cinématographique indépendante est toujours ressenti aujourd’hui (les films de la société The Asylum en est un bel exemple).

En 1990, il fonde la New Concorde qui consiste essentiellement à la renaissance de New World Pictures, mais avec un accent renouvelé sur la production de films à petit budget et d’exploitation. La société a continué à produire et à distribuer une large gamme de films, y compris des films d’action, d’horreur et de science-fiction cherchant principalement à capitaliser et en calquant ses productions sur des succès de l’heure ou des remakes ou relectures de productions du passé en visant principalement le marché de la vidéo. Bien que New Concorde n’ait pas eu le même impact que New World Pictures dans les années 1970 et 1980, elle a néanmoins maintenu l’héritage de Corman en produisant des films audacieux et divertissants (comme Carnosaur) encore une fois à fort petit budget.

En somme, Roger Corman est une véritable icône dans l’histoire du cinéma indépendant et du cinéma de genre. Son influence est immense et son style de production rapide et à petit budget doublé d’une volonté à repousser les limites de la créativité cinématographique a laissé une empreinte durable sur le paysage cinématographique mondial.

The Wild Angels

1 2 3 4 8