Christopher Nolan,
la possibilité d’un monde

RECENSION.
[ Essai-Cinéma ]

texte
 Élie Castiel

★★★★

 

Christopher Nolan

À cette édition très légèrement augmentée, s’ajoute Tenet, dernier opus à date de Christopher Nolan, donnant l’heure juste sur le travail d’un cinéaste à l’affût d’un monde imaginé, atypique, purement cinématographique. Un lieu où les mythes fondateurs, la science, la technologie, le fantasme, voir même la psychanalyse et la phénoménologie se partagent un même cerveau. Un lieu entre la fin du siècle dernier et le nouveau millénaire, déjà vingt ans écoulés.

Husserl et Kant (pourtant d’un autre siècle), et d’autres philosophes de la pensée sont indirectement convoqués, sans nécessairement les nommer. Car l’esprit nolanien traverse des eaux tantôt calmes, des fois submergées de vagues incontrôlables.

La notion du « point de vue », telle qu’amorcée dans le chapitre Le labyrinthe des subjectivités, donne l’occasion à l’auteur de cet essai complexe de situer le cinéma de Nolan, preuves à l’appui, dans un univers qui dépasse le cinéma. Il semble particulièrement perturbé par Memento (Mémento), œuvre-culte d’un réalisateur-devenu-culte. Gérardin soutient sa thèse lorsqu’il appuie que  « Nolan donne dès le générique des indications sur le fonctionnement de ses films, et le rôle de la pathologie dans la perception. Dans Mémento, c’est un polaroïd secoué par une main, qui blanchit au lieu de prendre des couleurs… (p. 19). Justement, Nolan, tout en abordant d’autres disciplines connexes, ne tourne jamais le dos au médium qu’il professe. En l’insérant dans une démarche exploratrice, en l’assujettissant à une sorte d’expérimentation scientifique avec un seul but : comprendre le processus qu’il déclenche, le phénomène qu’il constitue.

Compte à

rebours

Memento – polaroïd ou cinéma?

Autant la première édition, parue en 2018, que celle-ci, agrémenté de Tenet, à l’accueil vaguement mitigé, ressemble à un mémoire de maîtrise (thèse de doctorat, peut-être) devenu essai sur le cinéma publié. Le livre, dans son ensemble, est propulsé par la tendance d’exemples frappants, des témoins à charge, approche anglo-saxonne, sans doute moins portée par l’âme de l’individu.

Tenet – une question de montage et de ses possibilités.

Ce côté existentiel, Nolan va l’aborder admirablement dans un dernier chapitre, émouvant par son écriture, accessible et dans le même temps d’une intelligence radicale. Il excuse même le cinéaste d’avoir délaisser cet aspect en l’affranchissant candidement d’un «  Nolan a pu donner l’impression de délaisser l’humain pour les systèmes, et de réduire ses personnages à leur dimension cérébrale et solitaire. Or l’émotion est non seulement présente dans son cinéma, mais constitue la clé pour comprendre ce que poursuivent ses héros. (p. 104)

Timothée Gérardin (© Playlist Society)

Avec Christopher Nolan, la possibilité d’un monde, Timothée Gérardin exige non seulement l’intelligence acquise du lecteur, mais plus que tout, adroitement, situe l’œuvre particulière du cinéaste à l’intérieur d’un grand point d’interrogation, comme suggéré explicitement dans le titre de l’ouvrage. Inhabituellement fascinant.

Nous sommes gagnés d’avance. Néanmoins, une fois conquis par la thèse de Gérardin, nous ne pouvons pas nous empêcher de questionner l’absence flagrante de la femme dans le cinéma du réalisateur britanno-américain. Ou mieux encore, de sa disparition soudaine, comme si sa présence pérenne allait compromettre la fiction. Car elles meurent souvent, les femmes, dans les films de Nolan. Elles disparaissent tôt. Misogynie? Non, pas du tout? Impossibilité de la comprendre? Peut-être, contrairement à un Bergman qui, lui, la connaissait quasi incestueusement.

Dans le cinéma de Nolan, l’homme, bien sûr hétérosexuel, est donc laissé à lui-même dans un monde qu’il essaie éperdument de comprendre. Sans doute un parcours qui dure toute une vie. Comme ces héros solitaires des vieux westerns américains. Ford, Hawkes, Hathaway… Pour je ne sais quelle raison, je pense à Shane (L’homme des vallées perdues), œuvre-maîtresse de George Stevens.

Shane – un des archétypes du cowboy solitaire.

Le cinéma de Nolan ou des aller-retour, un pas en arrière, un pas en avant. Des anti-récits qui naviguent le plus souvent de la fin au début. Un véritable compte-à-rebours narratif. Nous sommes en même temps jouissivement désorientés et conquis par cet espace qui nous dépasse.

Avec Christopher Nolan, la possibilité d’un monde, Timothée Gérardin exige non seulement l’intelligence acquise du lecteur, mais plus que tout, adroitement, situe l’œuvre particulière du cinéaste à l’intérieur d’un grand point d’interrogation, comme suggéré explicitement dans le titre de l’ouvrage. Inhabituellement fascinant.

Timothée Gérardin
Christopher Nolan, la possibilité d’un monde
(Coll. « EdPS »)

Édition augmentée
Paris : Playlist Society, 2021
128 pages
[ Sans ill. ]
ISBN : 979-10-96098-43-9
Commandes @ Librairies locales
Prix suggéré : 14 euros

ÉTOILES FILANTES
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½ [ Entre-deux-cotes ]