Cinés Méditerranée

 RECENSION.
Cinéma ]

★★★ ½

texte
Pierre Pageau

Autrefois… les cinémas

    Le livre de Stephan Zaubitzer (SZ, pour la suite) se consacre à des salles de cinéma d’Afrique du Nord, soit ces pays qui côtoient la Méditerranée : Maroc, Algérie, Tunisie, Égypte et le Liban. À noter que le livre est bilingue : français et arabe; arabe puisque c’est la langue principale des pays visités. Principalement composé de photographies, toutes excellentes, l’album de SZ montrent principalement des salles de cinéma qui n’existent plus; il fait donc, littéralement, un travail d’archéologie. Ces salles glorieuses à leur époque, comme les palaces dans notre pays. Cet ouvrage prend le relais, d’une certaine façon, d’un premier livre de SZ, CinéMaroc (Éditions de l’œil, 2015), consacré uniquement aux salles de cinéma de ce pays et par défaut, donnant plus d’informations sur le travail accompli par SZ.

Le grand intérêt, et la faiblesse, de Cinés Méditerranée est de constater qu’il ne contient pratiquement que des photos; elles sont en couleurs et sur papier glacé on veut bien, mais nous aurions souhaité un peu plus de détails sur les salles en question.  En quelle année ont-elles été construites? Quand ont-elles fermé? ; Combien de sièges contenait chacune d’elles? Quels genres de films y étaient projetés?

On a cru bon d’ajouter un court texte d’Alain Bergala, au titre un peu grandiose, L’Odyssée Cinémas, écrit faisant office de présentation à l’ensemble des photos. Bergala, à son tour, fera référence à la notion classique du punctum, de Roland Barthes. Mais l’intérêt véritable de ce texte c’est de pointer du doigt vers des exemples précis de photos, et de certaines de leurs caractéristiques bien spécifiques. Comme pointer l’intérieur du Palace de Sousse (Tunisie) pour constater qu’il n’y a qu’un seul siège d’une couleur différente (pour une classe sociale différente?).

Cairo Palace (Le Caire)

Ou, pour nous amener à mieux remarquer la façade du cinéma El Ouancharis d’Alger qui possède une cartouche qui se réfère explicitement à la présence colonisatrice des Italiens (ceux de l’ère fasciste).  Avec ce dernier exemple on peut aussi ouvrir la problématique salles de ce continent pour constater que c’est sous des dominations colonisatrices (de France, de 1896 à 1959 principalement) que ces vestiges du cinéma ont été construites. Le livre propose aussi ses propres commentaires sur les salles; généralement l’équivalent d’un petit paragraphe pour nous éclairer sur la nature de la salle de cinéma qui est illustrée. Plusieurs de ces courts commentaires sont néanmoins fort utiles, comme par exemple celui qui se réfère au cinéma Dome City Center de Beyrouth (Liban) : il est situé en plein centre-ville, près de la Place des Martyrs, une conception de l’ingénieur Georges Tabet; la guerre civile a interrompu sa construction mais les murs conservent les traces des balles des combattants.

Pour contextualiser ces salles de l’Afrique du Nord on peut se référer aux ouvrages de Claude Forest, spécialiste des salles de cinéma en Afrique. Je pense ici à deux ouvrages récents (2019) : Pratiques et usages du film en Afriques francophones (Maroc, Tchad, Togo, Tunisie), chez Septentrion et Les salles de cinéma en Afrique sub-saharienne francophone, 1926-1980 (L’Harmattan). Ces ouvrages font l’historique de la présence de la colonisation française, pour le meilleur et pour le pire (selon Forest, pour le pire). Ces livres nous fournissent aussi des listes des films présentés durant les années 50 et 60; pour l’essentiel des films de Série B, aussi bien de France que des États-Unis. Dans le livre de SZ il y a une photo du cinéma Le Hoggar (ex-Century) d’Oran (Algérie) qui montre une affiche de Hercule et la Reine de Lydie (film sorti en 1959); sur cette même photo on aperçoit des affiches de films plus récents, comme Blade ou Sin City.  Mais les quelques posters (pour ne pas répéter le mot « affiche » de films visibles sur les photos du livre de SZ sont en arabe. Et c’est en Égypte, principalement au Caire que l’auteur a pu capter des ceux de films sur la devanture (ou réelle marquise parfois) : ainsi pour le cinéma Métro d’Alexandrie (Égypte) ou, au Caire pour les cinémas Pigalle, Métro, Miami, Rivoli ou Cairo Palace.

Pour les curieux d’une époque révolue sur la vie des salles de cinéma hors de l’hémisphère Nord. Dans un sens, une petite histoire pas si éloignée de la nôtre.

La majorité des photos nous montrent des salles décrépites, qui ne sont plus vraiment en fonction, en tant que salles de cinéma en tout cas.  Mais il y a des exceptions qui nous rassurent : il y a bien encore des salles de cinéma qui opèrent. Cela va de soi pour la Cinémathèque d’Alger, ou celle d’Oran (Algérie), et aussi plusieurs belles salles au Caire (Égypte). Le Maroc a encore quelques-unes de ces belles salles : le Colisée de Marrakech; le Caméra de Meknès; le Rialto de Casablanca.  Cette dernière référence me permet de noter que plusieurs des noms de ces salles ont aussi des noms que nous avons au Québec, comme :  Rialto, Métro, Majestic, Pigalle, Olympia, Century, Empire, Régent, Palace. Pour répondre aux besoins d’une population arabe plusieurs de ces noms ont été changés.

Dome City Center (Beyrouth). Pour ce qu’il en reste.

Le livre de SZ nous fait aussi découvrir l’existence d’équivalent de nos ciné-parcs. On sait bien qu’il s’agit d’une invention des États-Unis, qui se répand au Canada.  On en trouve de belles photos, comme le Rio et un écran du Strand (Alexandrie) ou le Cinéma en plein air de Gafsa (Tunisie).  L’architecture des salles peut varier énormément, mais le style Art déco est bien présent, comme il l’est un peu partout dans le monde.  En Égypte, le Cairo Palace (Caire) est une salle Art déco; le Métro et le Rialto d’Alexandrie semblent aussi du style Art déco. Au Maroc le Roxy (Tanger); le Rialto (Casablanca) sont de style Art déco.  Au Québec, l’architecte et décorateur Emmanuel Briffa implante ce style dans plusieurs salles : le Château, le Rialto, le Capitol, le Granada, le Séville, le Snowdon, le Rivoli (à Montréal); le Capitol et l’Empire à Québec; le cinéma Alexander de Rouyn, le Palace de Granby.

Au Maroc, une curiosité : le cinéma Colisée de Marrakech a un toit ouvrant (comme le Colisée de Casablanca) – la publicité de l’époque indiquait « Colisée – à ciel ouvert ») : à la dernière séance le spectateur peut regarder à la fois les étoiles et le film. On trouve aussi au Maroc le cinéma Caméra (Meknès), très beau, qui résiste et témoigne de la volonté de citoyens de préserver leur patrimoine cinématographique.

Cinéma Rif (Casablanca)

L’ouvrage de Stephan Zaubitzer peut à la fois être plaisant pour l’œil et dans le même temps nous donner un sentiment de nostalgie, voire même de tristesse, certains d’entre nous qui sommes de la génération où les salles de cinéma, de répertoire en particulier, étaient bien présentes, bien vivantes.

Le livre est en quelque sorte un devoir de mémoire, d’autant plus conséquent qu’il s’adresse à des pays autrefois injustement peu connus par les masses en Occident et des films souvent oubliés, voire même snobés ou répudiés. Or, comme notre compte rendu le mentionne, l’ouvrage sait rendre hommage aussi bien aux salles « mortes » qu’à celles vivantes. Le tout fait avec un travail professionnel, très attentionné. Pour les curieux d’une époque révolue sur la vie des salles de cinéma hors de l’hémisphère Nord. Dans un sens, une petite histoire pas si éloignée de la nôtre.

Stephan Zaubitzer
Cinés Méditerranée
Paris : Building Books, 2021

156 pages
ISBN : 978-2-4926-8001-4
Prix suggéré : 29,00 €
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