Électre
CRITIQUE – SCÈNE
| Élie Castiel – ★★★★½ |
DEUIL… OÙ EST TA VICTOIRE?
ÉLECTRE (ILEKTRA), LE FILM DE MICHAEL CACOYANNIS, EST TIRÉ DE L’ŒUVRE D’EURIPIDE et commence par le meurtre d’Agamemnon pour se terminer par une séparation sans retour. L’adaptation française d’Évelyne de la Chenelière puise aux sources de Sophocle, plus rigoriste mais sans trop s’aventurer, qui commence lorsque Oreste retourne chez lui pour se venger. Raccourcir le récit? Plonger dans les moindres détails d’une histoire familial funeste?
La mise en scène de Serge Denoncourt juxtapose le cadre classique de la tragédie et des anachronismes narratifs et formels contemporains qui, à première vue, semblent incompatibles. Et puis commence le verbe, la parole puissante, sa signification actuelle. Tout se rétablit comme par miracle pour faire en sorte que cette proposition s’avère d’une grande originalité. Caranne Laurent, la Coryphée, nous prend d’abord au dépourvu, mais dès le moment où elle exprime ses premiers mots, on l’adopte, on admire sa diction et son jeu d’un naturel impressionnant. Non seulement une Coryphée, mais une sorte de messagère entre Sophocle, Électre et le spectateur.
Ce dernier complice du drame qui se joue. Scène au milieu de la salle; gradins du côté gauche et du côté droit, comme pour imiter en quelque sorte le théâtre antique alors que les pièces sont des instruments pédagogiques du mieux-vivre et plus particulièrement du rôle de l’individu dans le monde. Vu de cette façon, l’auteur de ce texte est totalement imprégné dans les contours de cette tragédie universelle où pouvoir, séduction, matricide, voire même inceste, non pas par désir sexuel, mais par exaltation d’avoir retrouver quelqu’un qu’on croyait perdu se manifestent avec une rapidité déconcertante.
Les costumes sont aussi pour quelque chose. Ginette Noiseux s’est inspiré de ceux de l’Antiquité, mais n’est pas si loin aussi de ces parures qu’on retrouve dans les icônes grecques de l’âge byzantin, dont les artistes se sont inspiré de leur passé païen. Véritable trouvaille dans la manipulation excessive du tissu employé. Et pour la couture, telle que véhiculée avec dextérité par Priscilla Charbonneau et Frédérique Hinse, un travail d’orfèvre qui ne tolère pas l’erreur. Résultat : on reste ébahi devant cette pureté. On pourrait en dire autant pour les vêtements royaux et princiers. On les garde propres ou on les salit si la Terre nous interpelle.
[Magalie] Lépine Blondeau se soumet à cet exercice d’interprétation où, en apparence, l’improvisation, si on possède assez de tripes, peut s’avérer miraculeuse. Elle respire son personnage comme pour le placer au centre du monde et des individus.
Magalie Lépine Blondeau (comme d’ailleurs les autres comédiens) a sans doute vu des films sur les tragédies grecques, comme le Électre de Cacoyannis évoqué, et du même auteur, Iphigénie (Ifigenia), dont on parle ici aussi. Ce rapport à la Terre s’oppose au royaume des cieux vu d’un côté et de l’autre de la scène, des nuages circulant sans cesse comme pour marquer le destin des Dieux. Lépine Blondeau se soumet à cet exercice d’interprétation où, en apparence, l’improvisation, si on possède assez de tripes, peut s’avérer miraculeuse. Elle respire son personnage comme pour le placer au centre du monde et des individus.
Les hommes ne font que passer, comme pour remplace le chœur symbolique, comme pour plonger Électre dans la détresse dans laquelle elle se trouve et lui donner des possibilités de s’en sortir selon sa propre initiative et ses convictions.
L’Électre de Serge Denoncourt est viscéralement grecque, universaliste puisque ces anciens textes l’ont toujours été depuis leur parution. Car entre les Dieux et les Hommes, un effet miroir qui éclate selon les intentions des uns et des autres. Le péché n’existe point, mais la rédemption ne peut être atteinte que dans le regret des mauvaises actions. Se confier à une figure ecclésiastique, c’est porter atteinte à sa propre liberté. En quelque sorte, et encore une fois, l’Électre de Denoncourt et d’Évelyne de la Chenelière est un acte politique et social spirituellement transgressif.
Ensuite, ce chant de Naim Cerimi qu’on entend en filigrane, comme une complainte. Tonalités orientales qui renvoient à un univers pasolinien où l’ancestral ne peut être que plus brutal et en même temps revigorant.B
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FICHE TECHNIQUE
Texte: Sophocle
Traduction / Adaptation: Évelyne de la Chenelière
Mise en scène: Serge Denoncourt
Assistance à la mise en scène / Régie: Suzanne Crocker
Helléniste: Elsa Bouchard
Distribution: Alex Bisping, Violette Chauveau, Fayolle Jean Jr., Marie-Pier Labrecque, Caranne Laurent, Vincent Leclerc, Magalie Lépine-Blondeau
Scénographie: Guillaume Lord
Éclairages: Sonoyo Nishikawa
Costumes: Ginette Noiseux
Couture (Coupe): Amélie Grenier
Couture: Priscilla Charbonneau, Frédérique Hinse
Son: Nicolas Basque
Chant: Naim Cerimi
Durée: 1 h 20, (Sans entracte)
Représentations: Jusqu’au 17 février 2019, Espace Go.
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