Élégie pour la transgression

RECENSION.
[ Idées ]

★★★ ½

texte
Élie Castiel

   Effectivement, la transgression ou l’art de pécher convenablement ou son contraire. Jadis, elle appartenait à certains happy-few, à quelques tenants d’un discours libre et audacieux sur la politique, le social et, bien entendu, incontournablement, à la sexualité dans tous ses débordements. Mais avec une approche raisonnée, intellectuelle. Double contrainte pour les pécheurs (ce que l’auteur Français Michel Arouimi – voir Google – appelle dans plusieurs de ses écrits, le double bind) : défier l’ordre établi, une notion plutôt de gauche et bien encore, éviter le vulgaire et le surdimensionné (ce n’est pas un jeu de mots). Bien que…

Deux approches s’imposent à la lecture de cet intéressant essai : tout d’abord le texte de Laura Kipnis, paru en anglais, « Transgression: An Elegy » dans la revue Liberties – A Journal of Culture and Politics, v. 1, nº 1, 2020. Belle tribune pour Kipnis puisqu’elle fait partie des collaborateurs de ce tout premier numéro. Mince détail? Pas vraiment : les auteurs de toutes nouvelles publications deviennent, par défaut, les défenseurs de la teneur idéologique du périodique. À prendre ou à laisser.

La transgression

n’est plus

ce qu’elle était

Kipnis défend ses idées et le fait avec panache. Face à un texte de seulement soixante-dix pages, nous nous sommes permis de le relire avec, comme point saillant le constat que l’auteure (je n’aime pas le terme autrice – On dit bien docteure et non pas doctrice, alors pourquoi pas. Cessons de perdre notre temps avec des technicalités sans importance, du moins en ce qui nous concerne) fait de ce mouvement intellectuel : la transgression est devenue (malheureusement ?) une activité démocratique. À tel point, que des victimes ont vu le jour, devenant elles-mêmes, parfois, des pourfendeurs de ceux qui bousculent l’ordre établi. La droite contre la gauche, mais à échelle de masse. Plutôt inquiétant.

Sur ce point, Kipnis dira « … Voilà la question de notre époque : qui peut jouer le rôle du transgresseur et qui tient celui de la victime ? Quand les transgressions – dans l’art, dans la vie, aux frontières – en viennent à reproduire les mêmes thèmes rebattus et à configurer le partage du pouvoir de la manière attendue, que reste-t-il encore d’expérimental là-dedans ? » (p. 68)

Les mots clés : jouer et expérimental. Tenir un rôle, imiter l’interdit, mais dans le désordre sans doute, sans connaître vraiment la signification des gestes posés. Contrairement à ces grands comme Bataille, Barthes… on pourrait en ajouter d’autres – qui, par le biais de leurs expérimentations artistiques livraient un discours raisonné sur l’art et la vie. Avant-gardiste, visionnaire.

La couverture-arrière indique que l’essai propose des pistes de réflexion à partir du travail accompli par des artistes comme Pollock, Nabokov, Sade et autres. L’auteure les privilégie en cédant à leurs univers particuliers.

Et l’autre approche, c’est la traduction en français que fait Gabriel Laverdure. Français pur, phrases équilibrées, ne se perdant pas dans des détails superflus ou des effets de style. Il se permet un Avant-propos structuré, essentiel pour mieux comprendre la démarche de Kipnis. Beau travail.

La couverture-arrière indique que l’essai propose des pistes de réflexion à partir du travail accompli par des artistes comme Pollock, Nabokov, Sade et autres. L’auteure les privilégie en cédant à leurs univers particuliers.

Pour ceux et celles intéressé(es), elle parlera aussi du surestimé ou plutôt surmédiatisé Milo Yiannopoulos, le plus homophobe des homosexuels de l’Occident, du moins pour l’instant, puisque l’erreur est humaine et à tendance à se multiplier. À sa manière, il transgresse l’ordre établi même si la notion de transgression, d’après l’auteure, n’existe plus dans un monde où tout est possible, tout est montré, tout s’exhibe, tous montrent leur intimité. Le populisme a sans doute contribué à cette nouvelle donne sociale, fort probablement irréversible. Dommage !

Laura Kipnis
Élégie pour la transgression
Traduit de l’anglais par Gabriel Laverdière

(Coll. « Carnets »)
Québec, QC : Éditions Zadra, 2021

72 pages
[ Sans illustrations ]
ISBN : 978-2-9820-4530-9
Prix suggéré : 14,95 @
Disponibilité : ici.

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]