Embrasse
CRITIQUE.
[ SCÈNE ]
★★★★
texte
Élie Castiel
La confusion des attachements
Résister à une pièce de Michel Marc Bouchard est une hérésie. Découvrir Eda Holmes, la grande Dame du Centaur, comme metteure en scène dans une pièce en français, est une nécessité pour qui s’intéresse à l’art dramatique.
Et finalement, retourner au théâtre comme avant la pandémie est un acte libérateur. Ce sentiment inexplicable de voir une salle comble (ou presque) respirer au rythme de ce qui se passe sur scène. Quelque chose qui a à voir avec la création, un récit simple fait de cris, de brimades, de remises en question, d’amour filial, de complexe d’Oedipe caractérisé par cet amour entre la création artistique et le dévouement.
Hugo erre dans le magasin de tissus que gère sa mère, Béatrice Lessard. Il est fils unique et rêve de devenir couturier. Un incident dans un centre d’achats… et un procès qui se prépare. À moins que…
Bouchard, c’est le triomphe du verbe, le passage d’une classe sociale à l’autre, d’un ton saccadé à un rythme affolant. Mais il y a surtout la mise en scène de Holmes. Brillante, occupant l’espace dramaturgique avec autant d’insolence que de gestes urgents que les interprètes se font un devoir de rendre plausibles. Une découverte, Théodore Pellerin, acteur au cinéma, brillant, exceptionnellement bilingue comme cette nouvelle génération de comédiens québécois.
Sur scène, prêt à tout. Son Hugo aime embrasser tout le monde, sans raison apparente. Une idée narrative qui a dû bien germer dans la tête de Bouchard. Ces moments d’attouchement buccal, on les perçoit plus comme des caresses que comme des délits.
Eda Holmes a bien compris les intentions de Michel Marc Bouchard. Une entente complice, inconditionnelle, là où les embûches narratives et scéniques disparaissent par le biais d’un contrôle parfait avec l’œuvre en question.
Entre l’écriture du texte et la mise en situation, un effort particulier fait de correspondances, de mises en contexte, d’un rapport particulier avec les comédiens. Et surtout, après une absence de presque deux ans dû à la pandémie, cette attitude positive de montrer que malgré tout, l’amour du métier ne se perd pas quelles que soient les circonstances.
Les comédiens, tous fidèles à leurs personnages. Anglesh Major (le policier) est un digne représentant de la diversité dans le théâtre québécois. Alice Pascual (Maryse) établit avec soin les paradoxes du personnage. Et pour Anne-Marie Cadieux, toujours aussi versatile. On ne peut s’empêcher d’être élégamment troublé par son apparition finale, en robe noire magistrale, telle un mannequin de métier. C’est à ce moment que le rapport œdipien se transforme en une vraie relation mère/fils.
Et bien entendu, Yves Jacques, l’alter ego de Hugo, Yves Saint-Laurent. Un rôle taillé sur mesure qui, mine de rien, établit symétriquement cette magnifique mise en abyme entre le maître et son modèle.
Somme toute, Embrasse, dans toute sa complexité et dans le même temps, simplicité, est une œuvre sur les attachements qui ne cessent de nous créer des obstacles. Parvenir à obstruer ces frontières est déjà un acte de bravoure.
FICHE ARTISTIQUE PARTIELLE
Texte
Michel Marc Bouchard
Mise en scène
Eda Holmes
Assistance à la Mise en scène
Élaine Normandeau
Avec
Anne-Marie Cadieux, Yves Jacques
Anglesh Major, Alice Pascual
Théodore Pellerin
Décors
Michael Gianfrancesco
Costumes
Sébastien Dionne
Éclairages
Étienne Boucher
Accessoires
Karine Cusson
Maquillages
Audrey Toulouse
Coiffures
Sarah Tremblay
Perruques
Rachel Tremblay
Conception vidéo
Thomas Payette
Musique
Alexander MacSween
Production
Théâtre du Nouveau Monde
Durée
1 h 30 min
[ Sans entracte ]
Salle @
Théâtre du Nouveau Monde
Jusqu’au 24 octobre 2021
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]