Enfant Terrible

P R I M E U R
Numérique

Sortie
Vendredi 14 mai 2021

SUCCINCTEMENT
Début des années 1960. À 22 ans, Rainer Werner Fassbinder est un metteur en scène qui ne rêve que de faire du cinéma, voire devenir l’un des plus grands réalisateurs, à l’instar d’Orson Welles, Douglas Sirk, John Ford, Jean Luc Godard. Il s’entoure  d’une troupe de  fidèles et sort en salle L’amour est plus froid que la mort / Liebe ist kälter als der Tod, dans l’esprit de la Nouvelle Vague. La suite, c’est son histoire.

CRITIQUE.
[ Sphères LGBT ]

texte
Élie Castiel

★★★★

« Each man kills the thing he loves »

[ Chaque homme tue la chose qu’il aime ]

Ce sont là quelques-unes des paroles de la chanson de Peer Raben, chantée par Jeanne Moreau dans Querelle, ultime magnifique film de Rainer Werner Fassbinder, l’un des cinéastes les plus influents de la « movida » cinématographique allemande des décennies 1960 et 1970, interrompue en 1982, avec le décès du cinéaste, à 37 ans. Quelque chose qui a à voir avec le destin, ce spectre de la mort qui dans Enfant Terrible, apparaît devant Fassbinder, comme dans le Don Giovanni de Mozart. Ce dernier, homme à plusieurs femmes; dans l’esprit d’Oskar Roehler, collectionneur d’hommes.

Warhol et Fassbinder dans Enfant Terrible. Deux icônes de la contre-culture.

Cinéaste prolifique, 43 réalisations en 16 ans de carrière. Homme de théâtre aussi, qu’il délaisse pour une vie de cinéma. Homme colérique, écorché, encore une fois, amoureux des hommes, mais bien plus de sa profession. Une façon de tourner propre à ces années de liberté artistique dans les pays libres occidentaux. Premiers pas rapides d’une libération en matière de sexualité, particulièrement en ce qui a trait à la communauté LGBT. Une explosion de consommation de drogues, de comportements sexuels délirants et des histoires d’amours impossibles. Et de rencontres avec d’autres icônes de la contre-culture permanente, comme Andy Warhol.

On accuse Fassbinder, dans certains médias, de chauvinisme, d’antisémitisme, d’être homophobe aussi, alors qu’il est lui-même gai. Un bilan que le cinéaste Roehler – entre autres, Les particules élémentaires / Elementarteilchen (2006), dresse avec une certaine retenue, préférant se concentrer sur d’autres aspects de la personnalité du réalisateur.

L’amour est plus fort que la mort. L‘esprit de la Nouvelle Vague.

Reste un film ambitieux – s’en prendre à une icône du cinéma allemand, grand créateur à une époque où l’appétit cinématographique en Occident atteint un apogée considérable. Dans le cas de Rainer Werner Fassbinder, quelle que soit son idéologie, disparate, éclatée, controversée, créer, c’est d’abord détruire, pour mieux recréer, si possible, davantage. Dans les films comme dans la vie.

La mise en abyme entre Roehler et Fassbinder s’inscrit dans une tentative du premier à iconiser le deuxième, parfois lui vouant une fascination délirante, quasi incestueuse. La réalisation se sert ainsi de cette prise de position idéologique pour jongler avec des films de la carrière fassbinderienne bien précis. Si Querelle domine, c’est bel et bien pour souligner l’apport du film dans la mouvance queer, mais dans le même temps sert de film testamentaire. Comme un chant du cygne.

À une vitesse inouïe, deux heures et quinze minutes, comment couvrir une vie, une carrière aussi troublante que vécue dans la folie, l’excès, les humeurs incontrôlables. Cela commence dans les années 60 et l’homme en question n’en peut plus du théâtre, préférant l’objectif de la caméra, capable de capter la vie, de l’enregistrer sans tricher.

À une cadence d’enfer si on a vécu cette  époque et particulièrement suivi la carrière du cinéaste. La critique s’éclate, admirative devant son œuvre aussi volumineuse que controversée. Les Cahiers et autres revues influentes révèlent tous les mérites du réalisateur avec des textes analytiques, des écrits de fonds.

Querelle. Entre la pesanteur des paradis artificiels et un rejet obsessionnel de la morale.

Mais Roehler, dans cette biographie intelligemment romancée, extravagante, magnifiquement filmée, se concentre surtout sur la performance des acteurs, dont certains ressemblent à s’y méprendre aux fidèles de la ménagerie-Fassbinder.

C’est le cas de Harry Prinz, dans le rôle de Kurt Raab, à s’y méprendre; mais surtout Oliver Masucci dans celui de R.W.F., proche de sa physionomie, comme une reproduction, 38 ans après la disparition du réalisateur. On soulignera aussi le personnage de Ulli Lommel, devenu réalisateur prolifique après une collaboration de dix ans avec Fassbinder.

Salem, le Marocain, ou le grand amour de Fassbinder, que le comédien turc Erdal Yildiz rend crédible dans toute sa complexité; sans oublier le personnage de Günther Kaufmann, campé de façon irréprochable par Michael Klammer. Et chez les femmes, surtout le plaisir de revoir Eva Mattes (Brigitte) qui prend de l’âge admirablement bien.

Dans la mise en situation d’Oskar Roehler, une approche théâtrale, pas si éloignée de celle de Querelle, par son esthétisme époustouflant, kitsch, entre le trash sophistiqué, pervers, délirant, assumé ; bref, les extravagances d’une carrière réussie. Et idéologiquement, un homoérotisme, comme dans la vie de Fassbinder, décadent, sexuellement pervers, s’en tenant à une société hédoniste, particulièrement dans les milieu gais de l’époque. Une mise en scène où le tragique domine, comme l’époque qu’elle décrit, entre la pesanteur des paradis artificiels, le goût de la provocation et un rejet obsessionnel  de la morale.

Fox et ses amis. Dénonciateur de la bourgeoisie d’après-guerre

Probable clin d’œil à notre contemporanéité, un aujourd’hui où l’individualisme a pris d’assaut le social. Le contraire des personnages issus des films de Fassbinder, dénonciateur de la bourgeoisie dominante d’après-guerre – Fox et ses amis / Faustrecht der Freiheit (1975) –   du capitalisme effréné, d’une Allemagne de l’Ouest rebâtie après l’affront de la Deuxième guerre mondiale, saisissant les opportunités qu’offre le monde libre. Sur ce point, Enfant Terrible est un film politique, même si Roehler aurait dû exploiter encore plus ce filon.

Reste un film ambitieux – s’en prendre à une icône du cinéma allemand, grand créateur à une époque où l’appétit cinématographique en Occident atteint un apogée considérable. Dans le cas de Rainer Werner Fassbinder, quelle que soit son idéologie, disparate, éclatée, controversée, créer, c’est d’abord détruire, pour mieux recréer, si possible, davantage. Dans les films comme dans la vie.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Oskar Roehler

Scénario
Klaus Richter
[ d’après une idée de Richter et Roehler ]

Direction photo
Carl-Friedrich Koschnick

Montage
Hansjörg Weissbrich

Musique
Martin Todsharow

Genre(s)
Drame biographique

Origine(s)
Allemagne

Année : 2020 – Durée : 2 h 15 min

Langue(s)
V.o. : allemand / s-t.a.
Enfant Terrible

Dist. [ Contact ] @
[ Dark Star Pictures ]

Classement (suggéré)
Interdit aux moins de 18 ans

Diffusion @
Dark Star Pictures

&
Accès canadien

En VSD et DVD
dès le mardi 15 juin 2021

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]