Everybody Loves Touda

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H O R I Z O NS |

 

CRITIQUE
Élie Castiel

★★★ ½

 

RÉSUMÉ SUCCINCT
Elle se produit tous les soirs dans les bars d’une petite ville de province. Touda veut devenir une Cheikha, artiste traditionnelle marocaine. Mais elle rêve de Casablanca, capitale économique et culturelle du Maroc, là où tout est possible. Pour elle, pour son fils…

 

Le regard de Touda

 

Pour Nabil Ayouch, cinéaste emblématique du cinéma marocain contemporain, le politique passe par l’émancipation de la femme. Il l’a souvent démontré dans des films puissants, osés pour une culture plutôt conservatrice. Pour le principal intéressé, une prise de conscience morale qui libère l’âme de la femme, mais surtout le corps, voilé, désiré, mais interdit.

Comme dans l’inédit en salle Haut et fort (Casablanca Beats) sorti ici en DVD, la musique s’impose dans Everybody Loves Touda (Tout le monde aime Touda / Aljamie yuhibu tawdatan). À haute voix, déchaînée, sans restriction. Quitte à inviter le diable, ne serait-ce que le temps où tout devient possible.

Et les hommes, ceux qui la désire, la convoite et auxquels elle dirige son courroux en interprétant l’Aïta, pas parfaitement, mais essayant de son mieux, ce chant traditionnel berbère, véritable cri de révolte contre la soumission des femmes et sa prise de liberté.

Si quelque chose est réussi dans ce dernier Ayouch, c’est bel est bien son aspect littéraire, comme s’il s’agissait de reproduire un des romans d’un autre siècle. La Bovary s’invite, sa liberté acquise, bien que tragique en quelque sorte, son désarroi, sa posture, sa persévérance à jongler avec la vie.

Le mélodrame contemporain prend ainsi une nouvelle tournure entre les mains d’un cinéaste qui connaît parfaitement bien la culture de son pays, bien qu’il soit né en France, de mère d’origine juive tunisienne et de père marocain, un mélange assez adroit pour comprendre la dynamique sociale qui s’est exercé au Maroc à une époque qui n’existe plus. Néanmoins, peut-être encore dans l’esprit de Ayouch, conscient des bouleversements sociaux de son pays.

Rêver d’un ailleurs possible.

Les bars de petite ville de province, cela veut dire les « hommes », déchaînés, imposant des attouchements, jusqu’à l’excès parfois. Mais Touda, c’est Isrin Erradi, exceptionnelle dans le corps et l’esprit de la chanteuse. Car pour la Cheikha, le chant, c’est aussi la danse, le mouvement, la revendication totale de liberté de mouvement.

Et pour le spectateur, l’énergie sensuelle d’une musique qui incite au mouvement, excite nos sens, appelle à l’abandon. Jusqu’ici, tout va bien. Car le film, c’est « Touda », le film c’est aussi « la musique ». Deux entités que le cinéaste confond parfois, sans s’en rendre compte, trop pris par sa proposition.

Sauf que le regard qui conclut le film, visage éblouissant de Touda, en gros plan, s’adressant aux spectateurs, c’est-à-dire au monde, l’invite à deviner ce qui se trame dans sa tête. La question est soulevée. Ayouch aura presque gagné totalement son pari.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Nabil Ayouch

Scénario : Nabil Ayouch, Maryam Touzani
Direction photo : Virginie Surdej
Montage : Nicolas Rumpl
Musique : Kristian Eidnes Anderson, Flemming Nordkrog

Genre(s)
Drame
Origine(s)
Maroc / France
Belgique / Danemark
Pays-Bas / Norvège
Année : 2024 – Durée : 1 h 42 min
Langue(s)
V.o. : arabe ; s.-t.a. ou s.-t.f.
Tout le monde aime Touda
Aljamie yuhibu tawdatan

Nabil Ayouch

Production
Les Films du Nouveau Monde
(France)

Classement (suggéré)
Interdit aux moins de 13 ans

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]