Fairfly

CRITIQUE.
[ de la Scène au Salon ]

★★★

un texte de
     Élie Castiel

Réussir à tout prix, que l’on est fait des études ou simplement qu’on ait le sens aigu des affaires et de la finance. Sans oublier savoir se débrouiller. Ne compter que sur soi et sur ses quelques intimes complices. Ici, deux couples dans la trentaine qui essaient de « partir une affaire » que vous découvrirez à votre guise.

Parenthèse : le webzine français Entreprendre.fr cite Israël comme étant «un paradis pour les entrepreneurs! Le pays offre de merveilleuses opportunités aux créateurs d’entreprises» affirme l’ancien sénateur Jean-Pierre Bansard,  entrepreneur de génie et propriétaire de plusieurs hôtels de luxe à Paris et à Cannes… Des milliers de start-up israéliennes sont courtisées par les géants du secteur comme IBM, Intel, HP, Google, Apple, Facebook ou Microsoft qui n’hésitent pas à offrir des ponts d’or à ces pépites. » Voici pour la longue citation.

Rêves de réussite

Le Québec lui emboîterait-il le pas? Toujours est-il que Fairfly, du jeune Catalan Yao García est non seulement une pièce sur le sujet, mais également un discours sur la post-modernité de l’expérience théâtrale. Si jusqu’à un certain point, le classicisme peut, encore aujourd’hui, régner en maître dans le milieu du théâtre, force est de souligner que les nouveaux auteur(es), les plus jeunes, témoins des changements sociaux, soignent leurs écritures en imposant astucieusement des enjeux de société. L’art dramatique n’est plus un spectacle d’élite, de cette génération qui a côtoyé les études classiques, incluant le grec et le latin, d’autres allant même plus loin, l’arabe et l’hébreu; non, aujourd’hui la place est au pragmatisme. D’une certaine façon, de nos jours, on peut facilement se dire, sans doute avec un grain de sel et en tenant compte que des obstacles peuvent se présenter au passage ce que nos voisins anglos disent tout haut « I want it all and I want it now ».

Vérité du moment qui, selon notre éducation et affiliation politique, se résout à quelque chose entre l’utopie, l’individualisme effrénée et cette sensation de réussite quasi orgasmique qui parfois remplace l’amour physique!

C’est du moins ce que l’on ressent dans la mise en scène de Ricard Soler Mallol, lui aussi Catalan, porteur d’une maîtrise en théâtre, en 2017, de l’Université du Québec à Montréal. Un décor unique pour une salle de théâtre vide (le spectacle est en ligne), mais qui respecte fidèlement l’espace dramaturgique, sa conception scénique d’une économie presque bouleversante car tout repose sur la parole, sur l’excitation des gestes, sur les mots qui pèsent parfois lourd. Et quelque chose qu’on constate avec une certaine amertume : rien sur les relations humaines qui les relient, ou, soyons justes, si peu.

Mais au-delà du sujet, Fairfly est un mot anglais, bien sûr, dans la jargon des start-up (entreprises en démarrage) un peu compliqué à expliquer pour le commun des mortels. Et qu’importe puisque le discours de García est clair, contemporain, d’une actualité qui touche la peau, narcissique, nourri des codes de la nouvelle économie. Non pas en guerre contre les multinationales, mais rêvons de les joindre…

S’accrocher aux lois du marché, se laisser emporter par les premières impressions, par des idées saugrenues qui pourraient s’avérer néfastes. Et puis une fin ouverte qui laisse aux spectateurs/trices le soin de  ses propres conclusions.

Mais au-delà du sujet, Fairfly est un mot anglais, bien sûr, dans la jargon des start-up (entreprises en démarrage) un peu compliqué à expliquer pour le commun des mortels. Et qu’importe puisque le discours de García est clair, contemporain, d’une actualité qui touche la peau, narcissique, nourri des codes de la nouvelle économie. Non pas en guerre contre les multinationales, mais rêvons de les joindre, car le peu qui auront réussi iront sans doute joindre les rangs des GAFAM.

PHOTO : @ Suzane O’Neill

Le 21e siècle est désormais amorcé. Lois du marché, petites guerres (avec ou sans importance), pandémie, individualisme, crises identitaires, droits LGBT, multiples sexualités. Tout est économique. Soit qu’on est Game ou pas Game. Le choix incombe à chacun(e) de nous.

Deux comédiens, deux comédiennes, à l’aise dans leur rôle. Sonia Cordeau et Raphaëlle Lalande qui imposent habilement leur féminité tout en assurant leurs idées d’affaire bien ancrées dans l’esprit; Simon Lacroix qui excelle dans les crises et Mikhaïl Ahooja dont la mécanique théâtrale n’est plus à démontrer. Un bémol, trop de cris (un défaut régulier dans le théâtre québécois), comme si les spectateurs (ici, téléspectateurs) étaient sourds d’oreille. Mais pour compenser, un travail magnifique de Julien Hurteau. Sa captation vidéo plonge avidement sur les plans d’ensemble et jette régulièrement un regard intrus sur les visages de ces artistes de scène convaincus de ce projet à la fois insensé et innovateur.

ÉQUIPE PRINCIPALE DE CRÉATION
Texte
Joan Yago García

d’après une idée originale de La Colòrica

Traduction
Elisabet Rafols

Mise en scène
Ricard Soler Mallol

Assistance à la mise en scène & Musique
Ariane Lamarre

Réalisation-vidéo
Julien Hurteau

Régie
Hélène Rioux

Décor & Costumes
Romain Fabre

Éclairages
Catherine Fournier Poirier

Distribution
Mikhaïl Ahooja (Philippe), Sonia Cordeau (Martha)
Simon Lacroix (Simon), Raphaëlle Lalande (Amélie)

Production
Théâtre de La Manufacture

Durée

1 h 14 min
[ Sans entracte ]
La Licorne « En ligne »

Jusqu’au 12 décembre 2020

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]